• La dette publique expliquée à ma grand-mère

    France - dette publique Bon, il faut bien reconnaitre que la dette, c’est un problème ! On emprunte parce qu’on dépense trop, non ?

    Tu te souviens que grand-père disait : « on, c’est un con ». Tout à l’heure, tu vas voir que ce « on » est vraiment bizarre parce que ce sont les grandes banques elles-mêmes qui empruntent en notre nom !


    Mais pour ce qui est des dépenses publiques, elles n’ont pas augmenté entre avant « la crise » et maintenant : de 2004 et 2008, elles ont même un peu baissé, passant de 53,4% à 52,7% du PIB, c'est-à-dire une baisse de 0,7% ! La dette ne vient pas de là.


    Et il ne faut pas voir dans la « dépense publique » uniquement de l’argent jeté par les fenêtres : c’est le financement de ce qui reste des services publics : éducation nationale, recherche, hôpitaux, poste, etc., mais aussi, les bâtiments publics, par exemple. Ce sont aussi les dépenses des Collectivités territoriales (villes, départements et régions), qui construisent l’essentiel des routes, des ponts, des écoles, etc. Ce sont aussi les dépenses de la Sécurité Sociale, 
    des retraites, etc.


    Ces dépenses sont théoriquement couvertes par des recettes. Ce sont d’une part les impôts et les taxes, d’autre part les cotisations qui constituent le salaire qu’on appelle différé. Naturellement, chaque ligne de dépense ou de recette demande un regard critique : les impôts sont injustes, en particulier la TVA ; certaines dépenses sont beaucoup trop élevées, par exemple le prix des médicaments.


    Mais, si les dépenses sont constantes, les recettes, elles, baissent. C’est ainsi qu’est créé le déficit du budget. Et ça, depuis 1973. Le budget est déficitaire, parce que l’impôt n’est pas suffisamment levé. Par exemple, entre 2008 et 2009, l’impôt sur le revenu a baissé de plus de 4 milliards d’euros !


    Le taux de la tranche la plus haute est passé de 65% en 1986 à 41% en 2010. De même, le taux de l’impôt sur les sociétés est passé de 45% à 33,3% aux mêmes dates ! A cela s’ajoute quantité de dérogations qui font chuter les recettes des plus riches. Et de plus, un laxisme fort coupable permet une fraude massive qui ferait disparaître 40 à 50 milliards.


    Cela veut dire que l’impôt des capitalistes navigue entre rien du tout et pas grand-chose !


    Ainsi le budget de l’Etat est déficitaire. Et cette situation est tout à fait stable !

     

    Tu veux dire que le budget de l’État est maintenu volontairement en déficit ?

    Oui, exactement, parce que le capital ne veut plus payer l’impôt. Il cherche bien à baisser les dépenses, mais, comme on l’a vu, elles restent à peu près constantes. D’où le recours à l’emprunt.


    D’ailleurs, l’impôt qui n’est pas prélevé laisse aux plus riches des liquidités importantes, dont le meilleur usage est de les prêter à l’État déficitaire du fait du non-prélèvement d’impôt ! Mais il y a encore une autre cause à la dette qui monte, qui monte, … C’est la croissance faible ou nulle. Là encore, c’est le capital qui est à la manoeuvre. Parce
    qu’il considère qu’un investissement n’est bon que si sa rentabilité est d’au moins 15%. Si bien que l’investissement reste à peu près constant depuis 20 ans, que le chômage augmente, et que la croissance est faible ou nulle. Mais il faudra que je te reparle de ça une autre fois.

     

    Donc d’après toi, c’est le déficit qui crée la dette. Et ça dure depuis longtemps ?

    La cause de cette dette qui monte, qui monte, …, se cache dans une loi de 1973, qui, à l’époque, n’a pas fait beaucoup de vagues : cette loi dit que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France ». En clair, l’État s’interdit, lui-même, d’emprunter à la Banque de France, mais s’oblige à le faire « auprès des marchés », c'est-à-dire les banques privées. La différence est énorme, puisqu’un emprunt à la Banque de France était gratuit ou presque, alors que les banques privées prennent à un intérêt substantiel.

     

    Oui, mais un prêt gratuit, ça n’existe pas. Il faut toujours payer un petit quelque chose, et il faut rembourser !

    Bien sûr, mais à l’époque, la Banque de France appartenait en quelque sorte à l’État. Imagine que tu as besoin de 500 € pour faire un achat, et que tu les as sur ton livret A. Tu te dis que tu remettras l’argent au fur et à mesure. Tu dépenses donc ces 500 € et tu remets chaque mois 20 € sur ton livret. En deux ans, tu as tout remboursé, et ça revient à un prêt à toi-même à 0% !


    Mais si, toi-même, tu t’interdis de prendre l’agent sur ton livret A et que tu les empruntes à ta banque, ça te coûte beaucoup plus cher !

     

    Oui, mais ce serait idiot, franchement ! C’est se tirer une balle dans le pied !

    Pas si ce n’est pas tout à fait ton argent que tu empruntes, et que tu es très proche de ton banquier ! En 1973, c’est Georges Pompidou qui est président de la République. C'est l’ancien fondé de pouvoir de la banque Rotschild. C'est Giscard d’Estaing qui est ministre des finances. C’est lui qui présente cette loi au parlement et qui la vote sans état d’âme. Il tire une balle dans le pied de la République, mais arrondit les fins de mois des banques.


    Mais ce n’est pas une exception française, puisque ce même dispositif est imposé à tous les pays de l’Union Européenne : le traité de Maastricht le prévoyait déjà dans son article 104. Le Traité Constitutionnel Européen l’avait aussi inscrit dans son article 123, et il resurgit dans le Traité de Lisbonne. Cette constance dans la volonté des promoteurs de l’Europe montre l’importance, à leurs yeux, de ce point !


    Depuis 1973, où la méthode fut inventée, jusqu’à aujourd’hui, les emprunts de l’État aux banques forment une dette qui n’a cessé d’augmenter. C’est une sorte de crédit revolving dont on ne sort pas. Aucun gouvernement n’a fait mieux qu’un autre, et il n’y a aucune raison que ça s’arrête ! Pour une bonne raison : le budget de l’État est maintenu en déficit à cause de recettes fiscales trop faibles. La dette publique commence à pointer le bout de son nez à la fin des années 70. En 1978, elle était d’environ 70 milliards d’euros, soit 20% du PIB de l’époque. Elle est en 2010 de presque 1600 milliards, soit plus de 80% du PIB. Ça veut dire qu’elle a été multipliée par 23 en 32 ans, alors que le PIB n’a été multiplié « que » par 7 !


    Le but de cette manœuvre est de permettre au capital financier, en l’occurrence les banques, de puiser directement dans les recettes fiscales des pays européens. Par exemple, en 2005, la charge de la dette était de même grandeur que les recettes de l’impôt sur le revenu !

     

    Mais alors, l’état n’a qu’à emprunter, et dépenser juste ce qu’il a !

    C’est très difficile pour l’État de ne pas emprunter. D’abord, parce que ces recettes sont hebdomadaires, mensuelles ou annuelles, alors que ces dépenses sont quotidiennes : de temps en temps, même si son financement est équilibré, il a un besoin de trésorerie qu’il résout par un emprunt à court terme. De plus, pour des investissements importants, un bâtiment par exemple, s’il n’a pas les réserves suffisantes, il doit faire un emprunt à long terme. Il est donc difficile d’échapper à l’emprunt.

     

    Bon, mais ce qui m’intrigue alors, ce sont les taux d’intérêt. Si tu dis que le capital n’investit qu’à des taux d’au moins 15%, pourquoi les emprunts sont de 2 à 3% ?  On est loin des 15% !

    Pas tant que ça ! La rentabilité se calcule sur le rapport du capital investi. Or, un prêt bancaire, ce n’est pas du vrai argent, ce sont des sommes qui ne sont possédées ni par la banque, ni par personne. C’est de l’argent que la banque vient de créer quand elle accorde le prêt : elle inscrit simplement la somme sur ton compte, sans avoir à déposer quelque part (à la Banque de France ou à la Caisse des Dépôts et Consignations, par exemple) la moindre caution. En fait, elle doit juste avoir en réserve, en fond propre, entre 5 et 10 % du prêt. Si bien que, lorsque la banque te prête 10.000€, elle n’en a vraiment à elle, tout au plus que 1.000 ! Admettons que tu empruntes à 2%. Au bout d’un an, tu dois 200€ d’intérêts. C’est ça qu’il faut comparer aux 1.000 € réellement investis par la banque. On est bien à au moins 20% de rentabilité. Et quand les taux tournent autour de 20%, comme pour la Grèce, en un an, les seuls intérêts représentent le double des sommes investit : c’est ça qui est hyper juteux !

     

    Mais les agences de notations, elles jouent quel rôle là-dedans ?

    Voilà le nœud du problème. Les économistes, même les plus sympathiques comme Frédéric Lordon, voient de l’incohérence, là où il y a, au contraire, la plus grande cohérence. Pour s’en apercevoir, il faut laisser tomber l’échelle gauche/droite, ou même la contradiction riches/pauvres, pour adopter une vision de lutte de classes, une opposition entre capitalistes et prolétaires. Alors, il devient clair que le capital cherche à tirer le meilleur profit de son investissement. Il le fait dans le processus de production en cherchant (et il y arrive !) à baisser les salaires pour augmenter ses profits. La seule limite qu’il conçoit s’appelle la révolte ouvrière. Si elle n’arrive pas, alors, il continue !


    Alors, à partir des années 70, le capital, devant l’absence de réactions ouvrières significatives, passe à la vitesse supérieure, en ponctionnant directement les recettes fiscales grâce à la dette qu’il a inventée. Aujourd’hui, rien ne s’opposant réellement à sa goinfrerie, il fait des expériences, particulièrement sur de petits pays. Que se passe-t-il si les taux d’intérêts de la Grèce grimpent à 20% ? Il y a des manifestations, quelques bagarres, mais rien de décisif. Alors, il continue.


    En fait, les agences de notation ne mesurent pas la qualité des finances publiques (qu’elles connaissent fort bien, par ailleurs). Elles mesurent la qualité de la réaction des populations : moins il y a de réactions, plus les notes se dégradent, plus les taux d’intérêts augmentent ! Et on passe au pays suivant ! Des pays un peu plus grands, où l’opération sera encore plus juteuse. C’est uniquement la révolte de la population, en particulier ouvrière, qui fera la bonne note, qui fera l’annulation de la dette, qui fera l’arrêt des plans d’austérité à répétition !

     

    Tout à l’heure, tu m’as dit que c’étaient les grandes banques qui empruntaient au nom de l’État. Qu’est-ce que c’est que cette histoire !

    Ah oui, c’est je que j’ai dit. Donc, l’État emprunte aux banques avec intérêts. Le 8 février 2001, le gouvernement prend une décision audacieuse : il crée l’Agence France Trésor, rattachée au Directeur du Trésor. Cette Agence a pour rôle de gérer la dette de l’État. L’arrêté fondateur est signé par Laurent Fabius ! Pour faire le boulot, l’Agence s’appuie sur des spécialistes en valeur du Trésor. Ces SVT sont justement les banques prêteuses ! On boucle la boucle. Le capital dit à l’État : « emprunte, et ne t’inquiète de rien, on s’occupe de tout ! ». Les banques mesurent donc les besoins de l’État, préparent les conventions, les font signer par le gouvernement, prêtent l’argent (en fait, crée les lignes de crédit), empochent les intérêts fort juteux, notent ce même gouvernement, lui dit qu’il est mauvais, demande de l’austérité (c'est-à-dire une baisse des salaires), prêtent encore à des taux plus élevés, etc., jusqu’à ce que nous soyons capables de mettre en prison tout ce beau monde !

     

    Bon, tu m’embrouilles avec tous ces trucs. Résume un peu pour qu'on puisse y voir clair !

    L’affaire est assez simple. Le capital mène une politique de classe. Le gouvernement (quelle que soit sa couleur) est son instrument. Un déficit budgétaire est créé de façon systématique en ne levant pas l’impôt (enfin, celui du capital, bien sûr !) : d’ailleurs, les traités européen, prévoient ce déficit structurel. Alors, il faut lui emprunter l’argent nécessaire pour payer les dépenses de l’État, qui, elles sont constantes.


    Tout ça est donc très cohérent, avec pour perspective de ruiner les État nationaux pour passer, enfin, au rêve du capital, une « gouvernance » européenne qui pourrait prendre les décisions qui sont utiles au capital de façon aussi rapide que brutale. Si je devais résumer la situation, en l’absence de révolte populaire, on va à grands pas vers un régime autoritaire. Le fascisme, si tu préfères !

     

    Mais le fascisme, c’est l’extrême-droite, voyons, le Front National !

    Non, le fascisme c’est lorsque le capitalisme gouverne directement, sans le paravent d’un parlement, toujours trop lent, toujours trop hésitant à ses yeux. Se passer des gouvernements nationaux est l’objectif final de l’Europe. L’expérience belge (pas de gouvernement pendant presque deux ans) et l’actuel gouvernement italien (désigné par Goldman Sachs) vont dans ce sens. Tous ceux qui approuvent l’Europe, qui laissent faire, sont coupables. Actuellement, les partis politiques qui travaillent pour ce résultat odieux s’appellent UMP et PS ! Le FN aimerait peut-être bien faire ça, mais, pour l’instant, il ne représente que le capital qui ne se conçoit que dans le cadre national : certains petits patrons, certains plus ou moins gros commerçants, des gens comme ça. Pas le capital mondialisé qui ne veut plus de cadre national : il ne veut plus de cadre du tout ! Il veut le pouvoir direct, sans perdre son temps avec un gouvernement plus ou moins élu !

     

    Mais, et la démocratie dans tout cela !

    Oui, et bien la démocratie, ça fait belle lurette qu’elle est aux abonnées absentes ! Je t’en reparlerai bientôt !

     

    D.R


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