• « La Banque centrale se comporte d’une manière absolument inédite »

    « La Banque centrale se comporte d’une manière absolument inédite »

    Entretien avec Dino Greco

    « La Banque centrale se comporte d’une manière absolument inédite »

    Directeur de Liberazione, le quotidien de Refondation communiste, et longtemps figure de la CGIL, la principale organisation syndicale du pays, Dino Greco décortique la manœuvre de la Banque centrale européenne (BCE) en Italie. Pour lui, le patronat italien profite de la faiblesse de Silvio Berlusconi, largement discrédité par les affaires, afin de continuer son travail de sape contre les derniers pans de l’Etat social.

    Tournant décisif ou exercice banal ? Que pensez-vous de la lettre adressée par la Banque centrale européenne (BCE) au gouvernement italien ?

    Dino Greco. Il n’y a aucun doute, la Banque centrale européenne (BCE) se comporte d’une manière absolument inédite. Ce qu’elle propose au gouvernement italien, ce n’est pas une indication politique générale, c’est un véritable kit de l’intervention qu’il faut faire : coupes dans l’Etat social, dans la protection sociale, dans la santé, attaque contre le statut du travailleur qui fixe les rapports sociaux fondamentaux, contre les garanties sur le marché du travail, contre les retraites… C’est un kit d’inspiration parfaitement libérale que nous pourrions rapprocher de la boucherie sociale déjà expérimentée en Grèce ! Et, au passage, signalons que ce que produit ce bouillon néo-libéral est tellement désastreux que cela devrait inciter à une plus grande prudence, vu qu’aucun d’entre nous ne peut garantir que la Grèce réussira à payer ses dettes avec un tel programme d’austérité !

    Ce qui saute aux yeux, c’est que la technocratie financière prend le pouvoir ces jours-ci. La finance gouverne. Elle domine et dicte ses mesures inconditionnelles aux Etats, à la politique. Elle vampirise les biens communs. Elle impose son dogme libéral sans limite ni périmètre. C’est la donnée politique fondamentale de la période. Cela rencontre en Italie un contexte particulier, celui de la faiblesse extraordinaire du gouvernement italien. Le gouvernement italien est une clique corrompue. Je le dis, pas simplement comme observateur depuis ce journal et le mouvement politique qui l’édite, mais aussi comme citoyen. Le gouffre est vraiment très impressionnant : c’est l’hypocrisie, le cynisme, l’inconsistance politique qui caractérisent aujourd’hui les gouvernants du pays ! Je crois que, dans l’histoire de l’Italie, il faudrait remonter très, très loin en arrière pour retrouver une situation aussi catastrophique que celle que nous vivons aujourd’hui.

    Le patronat et les milieux d’affaires applaudissent aujourd’hui l’intervention de la BCE et fustigent la « faiblesse » de Berlusconi. Que signifie cette confrontation interne ?

    Dino Greco. Au sein des puissances financières comme la Confindustria (le patronat italien, NDLR), il y a une grande agitation actuellement : il s’agit pour eux de se débarrasser de Berlusconi et sa cour. Mais en matière d’alternative, c’est une tromperie : à ce personnage, ils envisagent de substituer une alternative libérale. Et ce qu’ils cherchent à faire, c’est de reprendre la balle au bond pour démanteler tout ce qui reste de l’Etat social en Italie. Ils veulent mettre les mains sur les derniers pans de protection des salariés qui existent dans ce pays. Ils n’ont jamais digéré le statut des travailleurs qui garantit dans les entreprises un certain nombre de droits… Ils cherchent à imposer la flexibilité, déjà obtenue sur le marché du travail à travers 48 contrats de travail atypiques – on entre dans une entreprise en passant sous ces fourches caudines, pratiquement à genoux -, jusqu’à la liberté de licencier sans aucune obligation du côté de l’employeur. Il cherche à faire ce que Sergio Marchionne fait dans les plus grandes usines d’Italie, celles de la Fiat… C’est une opération qui utilise la crise pour transférer la facture aux travailleurs, aux citoyens qui la payent déjà durement.

    Qui gouverne aujourd’hui en Italie ?

    Dino Greco. On parle beaucoup ces jours-ci, et de manière très hypocrite, d’un « gouvernement de solidarité nationale ». Des noms circulent pour le diriger. Il pourrait s’agir de Mario Monti, l’ex commissaire européen au marché intérieur, plutôt que Luca Cordero di Montezemolo, l’ancien patron des patrons et dirigeant de Ferrari… Mais quoi qu’il en soit, ce « gouvernement de solidarité nationale » entreprendrait exactement les recettes demandées par la BCE, c’est-à-dire le parfait catalogue néo-libéral. On parle aujourd’hui de l’allongement de l’âge du départ à la retraite – toutes les pensions à partir de 65 ans -, de l’augmentation des impôts indirects comme la TVA qui sont, comme vous savez, les impôts les plus injustes, des réductions des transferts budgétaires aux collectivités territoriales – ce qui signifie une attaque contre les services publics et la protection sociale…

    Ceux qui, dans les milieux d’affaires, envisagent de remplacer Berlusconi n’ont absolument pas l’intention d’adopter des mesures pourtant très utiles comme, par exemple, s’attaquer à l’évasion fiscale (plus de 230 milliards d’euros envolés chaque année) ou instituer une taxe sur le patrimoine – il suffirait une taxe de 0,1% sur les patrimoines de plus d’un million d’euros pour encaisser plus de 15 milliards d’euros. Comme ils ne le feront pas évidemment, notre problème aujourd’hui, c’est donc de promouvoir, de produire un changement radical ! Et pour le faire, il faudra que toutes les forces descendent sur le terrain. Hélas, nous avons aujourd’hui un syndicalisme dramatiquement défaillant. Il faudrait un conflit plus âpre. La plus grande des centrales syndicales, celle qui a été visée en permanence par Berlusconi ces dernières années, se maintient dans un attentisme absolu, elle est incapable d’envisager des actions efficaces.

    Vous faites référence à la CGIL ?

    Dino Greco. Oui. Ce qui me surprend du côté de la CGIL, je le dis non sans amertume, c’est l’absence d’une position propre dans cette situation. Elle s’est enfermée dans un scénario où elle s’appuie sur les propositions présentées par le patronat italien.

    Dans ce contexte un peu morose, comment la gauche, qui semble toujours aussi fragmentée, peut-elle porter une alternative ?

    Dino Greco. Il faut avoir une proposition et la faire vivre dans les rapports de masse. C’est sûr que nos forces ont été marginalisées, qu’elles sont encore limitées et secouées par des scissions qui n’ont pas aidé à renforcer la gauche en Italie. Mais il existe aussi des mouvements importants qui ont réussi ces derniers mois à se rencontrer, je pense aux précaires, aux étudiants, aux travailleurs qui, avec la FIOM-CGIL, le syndicat des métallurgistes, ont eu des mobilisations très fortes, aux militants du mouvement pour les biens communs qui, en remportant de manière écrasante les référendums sur le nucléaire et sur l’eau, ont marqué les esprits. Tout ceci démontre à mes yeux qu’il y a dans la société plus de raison, plus de sens des réalités, plus de conscience qu’on ne peut plus continuer sur ce chemin délétère qu’il n’y en a dans le champ de la représentation politique, même au centre-gauche évidemment. Ce que nous pouvons faire avec nos forces qui ne sont pas extraordinaires, c’est produire de la contre-information comme journal et de partager avec les citoyens la certitude qu’il est possible de faire autrement, que ce n’est pas velléitaire, que ce n’est pas l’expression d’une pensée idéologique en dehors de la réalité. Il y a des alternatives possibles. Bien sûr, ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui ont naturellement aussi la possibilité de dicter l’agenda, mais j’ai l’impression qu’en septembre, quand on devra commencer à présenter les comptes et tirer le bilan de cette nouvelle accélération libérale si cruelle, la reprise des luttes sociales sera absolument nécessaire. Je ne voudrais pas conclure par un slogan, mais tout de même : à une recette à la grecque, il faut une riposte à la grecque !

    Entretien réalisé par Thomas Lemahieu


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