Il y a trente ans, en 1983, le gouvernement de Pierre Mauroy ouvrait une « parenthèse » (selon l’expression de Lionel Jospin) dans la politique économique de l’union de la gauche, élue sur un programme de transformation sociale. Cette parenthèse ne s’est toujours pas refermée à ce jour.
Le « tournant de la rigueur » marquait le triomphe de l’aile droite du Parti socialiste, autour de Michel Rocard et de Jacques Delors qui considéraient que la politique de « relance » keynésienne de 1981 avait échoué, car condamnée par l’attitude non coopérative des gouvernements conservateurs voisins. Au même moment, les succès néolibéraux se confirmaient dans plusieurs pays. « Conversion au réel », c’est-à-dire au capitalisme, abandon des illusions volontaristes et égalitaires, mort du marxisme, engagement résolu dans la construction européenne : la rhétorique politico-médiatique se déchaîna alors pour imposer l’inéluctabilité d’un « tournant » en réalité déjà pris depuis plusieurs années par les élites politico-administratives. La conversion au marché contribua à réunir les élites socialistes et gaullistes qui, durant des décennies, avaient maintenu la référence à une tradition colbertiste déjà bien écornée depuis les années 1960.