• Impôts : Quand Nicolas Doze entretient le mythe du "saut de tranche"

    Nicolas Doze est un chroniqueur de BFM TV. Il y présente régulièrement sa "chronique éco", où il récite de manière régulière et très soutenue le catéchisme libéral : les retraites coûtent trop cher, l'État est trop gras, les grévistes ne servent à rien, le capital est trop taxé, nous payons trop d'impôts... c'est d'ailleurs sur ce dernier sujet qu'il s'exprimait Lundi 3 Septembre. L'expert entendait nous expliquer les méfaits du gel du barème et des "sauts de tranche" en matière d'impôt sur le revenu. Très bien, sauf que... les "sauts de tranche", au sens où il les entend, cela n'existe tout simplement pas.

     nicolasdoze.jpg

     Un mythe très répandu

    Tous les spécialistes de la fiscalité vous le diront : la croyance en l'existence du fameux "saut de tranche" est très répandue. L'argument est simple : puisque les revenus sont imposés à différents taux (0%, 5.5%, 14%, 30% et 41%), le fait de passer d'une tranche à une autre (suite à petite augmentation de salaire, par exemple) pourrait, dans certains cas, entraîner une imposition supplémentaire supérieure au gain en rémunération.

     

    Reprenons le barème d'imposition :

    • jusqu’à 5 963 € = 0 %

    • de 5 963 € à 11 896 € = 5,5 %

    • de 11 896 € à 26 420 € = 14 %

    • de 26 420 € à 70 830 € = 30 %

    • plus de 70 830 € = 41 %

    Fréquemment, ce barème est interprété de la manière suivante : une personne gagnant (par exemple) 25 000 € (je parle bien sûr de "revenu net imposable") serait imposée à hauteur de 14% sur l'ensemble de ses revenus. Passer à 27 000 € la ferait "sauter de tranche" : elle serait donc imposée à 30%. Le gain en rémunération serait donc bien plus faible que la perte due à l'imposition.

     

    Cette conception est purement et simplement erronée : en dehors des éléments pouvant parasiter le calcul (comme les crédits d'impôt), si la rémunération augmente, il est impossible de payer plus (en impôt) que ce que l'on reçoit (en revenus).

     

    D'où vient l'erreur ? Tout simplement du fait que beaucoup de contribuables font l'amalgame entre taux marginal d'imposition et taux moyen d'imposition. Le revenu est réparti au sein des tranches d'imposition en commençant par celle à 0%. Une fois la tranche complétée, on passe à la suivante, et ainsi de suite. La tranche dans laquelle les revenus se "terminent" correspond au taux marginal d'imposition. Une notion fort différente du taux moyen d'imposition, comme nous allons le voir.

     

    Prenons un exemple

     

    Dans le cas d'une personne percevant un revenu net imposable de 25 000 €, nous avons donc :

    [5 963 x 0%] + [(11 896 – 5 963) x 5.5%] + [(25 000- 11 896) x 14%] = 0 + 326.315 + 1 834.56, soit environ 2 161 € d'impôt à payer.

    Le taux marginal d'imposition est de 14%.
    Le taux moyen d'imposition est de 8.64% (on obtient bien 2161 € en multipliant 25 000 par 8.64%).

     

    Si maintenant le revenu passe à 27 000 €, nous obtenons le calcul suivant :

    [5 963 x 0%] + [(11 896 – 5 963) x 5.5%] + [(26 420- 11 896) x 14%] + [(27 000 – 26 420) x 30%] = 0 + 326.315 + 2033.36 + 174, soit environ 2 534 € d'impôt à payer.

    Le taux marginal d'imposition est de 30%.

    Le taux moyen d'imposition est de 9.39%. Un taux certes plus élevé, mais très proche au précédent.

     

    Vous pouvez vérifier ces calculs par vous-mêmes en utilisant le simulateur proposé par le ministère de l'économie et des finances.

     

    Pour un gain de 2 000 € en revenu net imposable, il y aura donc 373 € d'impôt supplémentaire à régler. Soit tout de même un solde positif de 1 627 € ! Le fameux "saut de tranche" n'est donc, comme nous venons de le voir, qu'une fable.

     

    De la même façon, dès qu'il est question de créer une tranche à 75%, le débat est simplifié à l'extrême et laisse systématiquement entendre qu'une personne gagnant 1 000 002 € devrait verser au moins 750 000 € d'impôt, ce qui est faux : comme je viens de le rappeler, seuls les revenus dépassant la limite du million d'euros seraient imposés à 75% (dans cet exemple : 2 €). Le taux moyen d'imposition serait en réalité d'un peu plus de 40%, même avec la mise en œuvre d'une telle mesure.


    Pourquoi ce rappel ? Tout simplement car c'est en partant de ce postulat erroné que Nicolas Doze a articulé sa critique de l'action du gouvernement. 

     La chronique éco de Nicolas Doze, le 3 Septembre 2012

    Grossir le trait pour critiquer la politique fiscale du gouvernement ?

     

    L'objectif est clair : montrer que les socialistes sont des incompétents, que la France est un enfer fiscal et que les plus pauvres seraient les premières victimes de ce changement. Jouant sur les fantasmes d'une partie des téléspectateurs, Nicolas Doze laisse même entendre que le gel du barème découragerait le travail.

     

    "Y'a-t-il des gens, parmi ceux qui nous écoutent, qui finalement ont déjà renoncé à des augmentations ou préféré travailler moins pour, au bout du bout, payer moins d'impôts ?"

     

    Voilà la question qu'il nous pose. Quel dommage qu'elle ne tienne pas la route une seconde, comme nous venons de le voir ! Et tout est l'avenant dans cette malheureuse chronique. Le gel du barème est bien une hausse généralisée des impôts si l'on considère que les revenus des Français augmentent légèrement chaque année, comme l'avait dénoncé Solidaires Finances Publiques dès le mois de Novembre (au moment de l'annonce de quelques mesures d'austérité par François Fillon). Cependant, cela n'a rien à voir avec un prétendu "saut de tranche".

     

    Par ailleurs, si certains contribuables pourraient effectivement avoir à payer un impôt dont ils ne devaient pas s'acquitter auparavant, en dépit du mécanisme de la décote et du non-recouvrement de l'impôt inférieur à 61 €, cela ne vient pas non plus du fameux "saut de tranche".

     

    Le gouvernement Ayrault est probablement très critiquable, mais soyons attentifs : cette remise en question doit se faire à partir de véritables arguments. Pas à partir d'inventions. Cette petite chronique aura au moins eu le mérite de nous montrer une chose : les éditos de nos experts sont loin d'être parole d'évangile...

    http://duvalyohann.over-blog.fr/


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :