• FLORANGE: la trahison du “socialisme” compassionnel

    FLORANGE: la trahison du “socialisme” compassionnel.

    Par Jacques Sapir

    Envoyé par Joël Lopes

     

    FLORANGE: la trahison du “socialisme” compassionnel

     

    La « solution » dont les négociations entre le gouvernement français et MITTAL ont accouché est probablement l’une des plus mauvaises qui soit. Elle revient à faire confiance au groupe MITTAL pour investir sur une période de 5 ans 180 millions d’Euros, alors que ce groupe n’a pas exactement bonne réputation sur ce point. Par ailleurs, MITTAL s’engage à reclasser les salariés de la « partie chaude » du site de Florange et à développer la « partie froide » ainsi que ses installations de Dunkerque. De fait, le gouvernement français a très peu obtenu de MITTAL, qui va pouvoir continuer de se désengager de son activité de production d’acier pour se désendetter et continuer de se tourner soit vers l’amont (les mines) soit vers l’aval (l’utilisation des métaux). Les salariés de Florange restent les otages de MITTAL, otages qu’il pourra sacrifier d’ici trois à quatre ans si sa logique, essentiellement financière, le conduit à une telle décision. En fait, le gouvernement n’a obtenu, au moindre coût pour lui, qu’une solution temporaire. Et de cela J-M Ayrault, Premier ministre, crie victoire ! C’est l’expédient élevé à la hauteur d’une stratégie.

    Il faut ici rappeler quelles sont les méthodes de MITTAL. Lors de la privatisation de la sidérurgie Sud Africaine MITTAL, qui avait racheté environ 80% des capacités de production, n’a pas investi mais a augmenté les prix des produits laminés de 30%, tuant ainsi l’industrie automobile locale[1], et compromettant dans une large mesure la stratégie de développement adoptée par le nouveau pouvoir de Pretoria[2]. Ceci a provoqué une prise de conscience du gouvernement et l’élaboration de règles de plus en plus stricts encadrant la production d’acier. Dans les faits, le gouvernement de la République d’Afrique du Sud a cherché à se dégager de l’emprise de MITTAL[3]. Cet exemple montre bien que, pour MITTAL, seule prime la logique financière de court terme. Le groupe, aujourd’hui très lourdement endetté, n’a pas de stratégie dans la sidérurgie. Mais il en a une quant au développement de ses profits, ou plus précisément des dividendes de ses actionnaires, dont la famille Mittal à hauteur de 40%. On conçoit que ce précédent n’incite guère à l’optimisme quant à la pérennité du site de Florange.

    Pourtant, il faut rappeler qu’une stratégie de développement des activités « chaudes » (les hauts-fourneaux) est parfaitement possible. On sait depuis des dizaines d’années que la production de fonte et d’acier dégage des gaz à hautes températures, qui n’étaient jusqu’à présent que source de pollution. Or, depuis environ dix ans se sont développées des activités permettant la réutilisation de ces gaz, soit pour produire de l’énergie, soit pour développer des productions chimiques à haute valeur ajoutée. Le haut-fourneau ne doit plus être envisagé comme une entité unique mais comme la pièce centrale d’un ensemble d’activités liées, on peut ici parler de « cluster », dont la somme dégage des profits importants, ce qui contribue à faire baisser fortement le coût de l’acier produit. Contrairement à une idée reçue, la sidérurgie n’est pas une activité du passé, mais une activité d’avenir entraînant dans son sillage des activités connexes à haute technologie. Mais, ceci implique des investissements importants, et une association entre la société productrice d’acier et des sociétés chargées de ces activités connexes. Or, cette logique est diamétralement opposée à la logique financière de MITTAL. Investir dans la création d’un « cluster » de ce genre à Florange, ce qui serait possible et rentable, reviendrait à immobiliser des investissements dans la sidérurgie au moment où le groupe cherche à se désendetter.

    Si l’on peut comprendre pourquoi MITTAL ne veut pas réaliser ces investissements (et il est clair que les sommes annoncées ne correspondent nullement à une telle stratégie) on peut se demander pourquoi il refuse de vendre la totalité du site, les parties « chaudes » et parties « froides » inclues. La réponse tient en deux mots : profits et non-concurrence. La partie « froide » su site dégage des profits satisfaisants pour le groupe MITTAL, dont il a besoin dans sa logique de désendettement.  Par ailleurs, la vente du site dans son ensemble ouvrirait la porte à un repreneur qui serait en mesure, surtout s’il est mû par une réelle logique industrielle, d’exercer une concurrence importante sur les autres installations de MITTAL en France. En fait, et c’est ce dont les adversaires d’une nationalisation du site ne se sont absolument pas rendu compte tout à leurs glapissements hystériques, comme ceux de dame Parisot, la nationalisation est aujourd’hui le seul moyen pour réintroduire de la concurrence dans une activité qui, de fait, est fort peu concurrentielle.

    Les salariés de Florange se retrouvent piégés par la politique des divers gouvernements français qui, au nom du respect de la « concurrence » ont régulièrement agi contre celle-ci et ont de plus empêché la mise en place d’une stratégie industrielle véritable sur le site. Cela a commencé en 2006, quand ARCELOR a fait le choix de MITTAL comme repreneur contre le groupe russe SEVERSTAL. Or, il existait à l’époque d’importants accords entre ARCELOR et SEVERSTAL qui étaient complémentaires sur leurs différentes activités. Mais, MITTAL a été en mesure de proposer plus d’argent aux actionnaires privés d’ARCELOR, emportant ainsi le morceau. Une occasion unique de mettre en place une réelle logique de développement industriel a été perdue à l’époque. Aujourd’hui, en favorisant un compromis boiteux avec MITTAL et en refusant de prendre ses responsabilités, le gouvernement français rend à nouveau impossible l’émergence d’une réelle stratégie industrielle. On peut spéculer sur les raisons de ce choix. Il y a probablement l’idée reçue que la sidérurgie est une activité « du passé », si courante chez les non-spécialistes et les demi-banquiers qui peuplent les cabinets ministériels socialistes. Il y a sans doute aussi l’idée qu’il suffit de trouver une demi-mesure qui pourra passer, avec l’aide d’agences en communication, pour un succès véritable. Il est vrai que cette attitude tend à devenir un système dans ce gouvernement. On peut craindre enfin une raison politique : abaisser le remuant Arnaud Montebourg au profit du très libéral Moscovici, dont il est notoire qu’il s’est plus occupé des élections internes au PS que de son ministère cet été.

    Quoi qu’il en soit, il est désormais patent qu’il n’y a pas de place pour une réelle stratégie industrielle dans le « socialisme » compassionnel que professe ce gouvernement. Arnaud Montebourg est désormais au pied du mur. S’il veut rompre, et faire de cette rupture une véritable dénonciation de la ligne politique choisie, c’est maintenant qu’il doit le faire.

    http://reveilcommuniste.over-blog.fr/

    [1] Fine B. and R. Rustormjee, The Political Economy of South Africa – From Mineral-Energy Complex to Industrialization, London, Hurst & Company, 1996.

    [2] Department of Trade and Industry (DTI), Accelerating Growth and Development – The Contribution of an Integrated Manufacturing Strategy, Pretoria, 2002

    [3] Roberts S. and N. Zalk, “Addressing market power in a small, isolated, resource-based economy: the case of steel in South Africa”, Centre on Regulation and Competition, 3rd International Conference, 7- 9 Septembre 2004. Nimrod Zalk était directeur du Strategic Competitiveness Unit dans le Department of Trade and Industry (DTI), Pretoria.


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