• Pierre Laurent « Désarroi provoqué par la brutalité des annonces du gouvernement »

     Hollande enveloppe le traité austéritaire dans un paquet cadeau

    Dans les lettres de cadrage adressées à son gouvernement, le Premier ministre annonce l'austérité budgétaire pour 3 ans. Après l'annonce d'une hausse minimaliste du SMIC, c'est une deuxième mauvaise nouvelle. Comment le gouvernement compte-t-il relancer la croissance s'il éteint tous les moteurs possibles de cette relance ? Sans hausse des salaires, sans investissements publics, sans mobilisation du crédit bancaire, sans relance de l'emploi industriel, où sont les perspectives ?
    D'autres choix sont possibles : renégocier comme promis, contrairement à ce qui est en train de se passer à Bruxelles, le pacte budgétaire européen, remettre la main sur les leviers du secteur bancaire avec la création d'un pôle public bancaire et financier pour mobiliser l'argent nécessaire, et engager une réforme fiscale très profonde.

    Pierre Laurent comprend le désarroi provoqué par la brutalité des annonces du gouvernement. Il dit à toutes celles et ceux qui ont voulu le changement : " ne renoncez pas. Votre intervention dans les choix politiques est nécessaire, elle est urgente. Avec les propositions du Front de gauche, nous pouvons nous rassembler et agir pour proposer d'autres choix immédiats. "
     

    Hollande enveloppe le traité austéritaire dans un paquet cadeau


    Hollande enveloppe le traité austéritaire dans un paquet cadeau et le soumet à ratification

    C’est fait. François Hollande a annoncé ce midi qu’il soumettrait le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l’Union économique et monétaire à la ratification du Parlement français. Lors de la campagne électorale, il avait pourtant promis sa renégociation, avant de ne plus se contenter que d’un volet de croissance, qu’il a pressé ses pairs d’adopter cette dernière semaine. Ce TSCG interdit notamment d’avoir des déficits structurels supérieurs à 0,5%, couronnant ainsi les politiques austéritaires négociées à Bruxelles depuis quatre ans et parfois votées au Parlement européen.

    En fait de ratification de traité, c’est un paquet cadeau que soumettra François Hollande à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les députés français auront à se prononcer sur un ensemble englobant le TSCG, la supervision bancaire européenne encore en cours de négociation, mais actée ce vendredi, la taxe sur les transactions financières qui devrait voir le jour avant la fin de l’année, et le pacte de croissance. Un tel paquet devrait permettre de faire taire les députés socialistes récalcitrants. « Dans la campagne présidentielle, a justifié l’ancien candidat socialiste, je voulais renégocier le traité pour y mettre ce qui n’y était pas : la croissance et des mesures de stabilité à moyen terme ». En revanche, il n’est pas question, selon François Hollande d’inscrire la règle d’or dans la Constitution. Il privilégie une loi cadre de réduction des déficits.

    Qu’est-ce que ce pacte de croissance ? Ce « Pacte pour la croissance et l’emploi » est un programme d’investissements européens pour une valeur de 125 milliards d’euros, soit 1% du PIB européen. 55 milliards de Fonds structurels non utilisés seront réallouées. La Banque européenne d’investissements est dotée de 60 milliards d’euros supplémentaires. En outre, 5 milliards d’euros d’obligations de projets, pour financer des infrastructures seront levées sur les marchés.

    Voilà pour l’affichage. Présenté comme devant servir de contrepoids à l’austérité incluse dans le TSCG, elle est en fait son complément. Le premier article du texte rappelle qu’en fait de stratégie de croissance, les « nouveaux outils pour la gouvernance économique doivent être utilisés à plein ». Il s’agit là du semestre européen, des recommandations adressées par la Commission aux pays européens et qu’ils sont tenus d’appliquer, depuis l’adoption par le Parlement européen du paquet de directives 6-pack l’an dernier. La directive 2-pack doit être « adoptée rapidement » disent les conclusions du Conseil. Ce texte permettra notamment à la Commission européenne d’intervenir en plein débat budgétaire dans les Etats membres, lui conférant quasiment le pouvoir de présenter des amendements aux budgets nationaux.

    Autre élément marquant du sommet : le pressing des chefs de gouvernements espagnol et italien, Mariano Rajoy et Mario Monti. Le premier a obtenu une recapitalisation des banques espagnoles par les fonds de secours européen, sans que cela ne soit compté dans sa dette publique nationale. Le second est lui, parvenu à arracher la possibilité pour un pays de voir sa dette rachetée sur le marché secondaire par les fonds de secours européens. Si les taux d’intérêts sur la dette italienne, aujourd’hui supérieurs à 6% venaient à diminuer, il n’aurait pas recours à cette nouvelle possibilité. Tout pays ayant recours à ces nouveaux outils devront respecter scrupuleusement les recommandations, en matière budgétaire et de réformes structurelles, que leur adresse chaque année la Commission dans le cadre du semestre européen.
     

    Un sommet où nous sommes allés nous faire tondre !

     

    Hollande enveloppe le traité austéritaire dans un paquet cadeau

    Le Pacte ,de soi-disant pour le développement accordée à Berlin en retour de la ratification du Pacte de l'assainissement budgétaire, scelle l'austérité qui n'est pas seulement inefficace, mais qui ne peut être que nocif. Environ 60 des 130 milliards du "package" viennent des fonds structurels. C'est à dire des-ressources qui n'ont pas été exploités pour l'instant par les pays membres. D'autre part, les dirigeants de la zone euro ont accédé aux revendications de l’Espagne et de l’Italie d’avoir accès, de manière indirecte, aux fonds de secours européens. Mais les marchés gardent la haute main sur l’avenir de l’euro.
    Ce dix-neuvième sommet du Conseil européen à Bruxelles après le déclenchement des crises multiples en Europe, d'abord avec la Grèce en Décembre 2009 (de la dette, les banques, pertes, etc.), vient être marqué par un renoncement de François Hollande qui veut ratifier rapidement par le parlement : le pacte de croissance, la supervision bancaire si c'est nécessaire et le pacte budgétaire.

    Les dirigeants de la communauté européenne ont décidé hier, invités par le président français François Hollande, d'adopter, aux côtés de Pacte d'assainissement des finances publiques que veut l'Allemagne, et un accord de développement que François Hollande va tenter de «vendre» à ses compatriotes en tant que grand succès. Il était facile pour la chancelière Angela Merkel de dire «oui» à un pacte de croissance, car il ne contient pas de nouveaux fonds à partir des pays de la zone et il permet à François Hollande d'accepter le Pacte d'assainissement budgétaire substantiel, à savoir l'imposition d'austérité sévère et dure à toute l'Europe. François Hollande a dit 'Oui' à ce que voulait Berlin.

    En fait c'est ce qu'on appelle le «paquet» pour la croissance et la sortie de l'Europe de la récession. Dans cette référence, pour un financement total de EUR 120 à 130 milliards d'Euros (1% du PIB de l'UE), qui sera dirigé vers des grands projets d'infrastructure dans les transports, l'énergie des réseaux et des programmes visant à soutenir les entreprises petites et moyennes entreprises (PME ) et l'emploi des jeunes.

    Cette "Entente" sur le développement est une aberration, une seule scène du film la surproduction, parce que derrière les façades des bâtiments il ya seulement des matières des hôtes en studio, c'est à dire qu'il n'ya absolument aucune "profondeur".

    Le manque de «profondeur» en raison que les 120-130 milliards d'euros de 55 à 60 milliards de dollars proviendront du budget existant, puisque ce sont les fonds structurels de l'Union pour la période 2007-2013. Les pays membres, qui pouvaient en bénéficier, n'ont pas été en mesure de les absorber jusqu'à ce jour.

    L'accord de développement prévoit également de renforcer la Banque européenne d'investissement (BEI) à dix (10) milliards de dollars, qui seront «levés» sur les marchés pour atteindre 60 milliards d'euros, et ces ressources utilisées pour soutenir des programmes pour les PME et l'emploi des jeunes. Enfin, il existe d'autres 5 à 10 milliards pour une "obligations" du projet, des obligations à savoir qui sont garantis par le budget communautaire pour financer les grands axes spécifiques.

    L'accord issu du sommet européen en faveur d'une union bancaire a été accueilli avec ferveur par les marchés.
    Les Bourses européennes s'envolaient vendredi matin après l'accord conclu dans la nuit à Bruxelles entre les dirigeants de la zone euro sur la possibilité de recapitaliser les banques via les fonds de secours européens comme le demandaient l'Italie et l'Espagne.

    « Du fait qu'il y avait peu d'attentes sur le sommet de l'Union européenne, cette annonce a créé la surprise », a indiqué à Dow Jones Newswires Masafumi Yamamoto, chef stratégiste des changes de Barclays Capital à Tokyo.

    « Tous les yeux sont tournés vers le marché obligataire » où les taux d'emprunt de l'Espagne et de l'Italie se sont récemment envolés à des niveaux jugés insoutenables sur la durée, a rappelé Chris Weston d'IG Markets.

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  • Olivier Berruyer le 28 juin 2012

    Graphiques extraits du billet :

    En exclusivité, et grâce au travail de 3 lecteurs du blog (Alban, Lisa et Olivier) que je remercie, voici en exclusivité le fameux rapport Van Rompuy sur le “fédéralisme”.

    Téléchargez le rapport Van Rompuy en cliquant ici.

    Au menu :

    L’union économique et monétaire a été mise en place pour apporter la prospérité et la stabilité en Europe.

    des mécanismes efficaces pour prévenir et corriger des politiques fiscales non-viables dans chaque État membre sont indispensables.

    pouvoir être compétitifs dans une économie mondialisée

    Les prises de décisions concernant les budgets nationaux sont le cœur des démocraties parlementaires en Europe

    Construire un soutien populaire en faveur des décisions au niveau européen qui ont un impact fort sur la vie quotidienne des citoyens est fondamental.

    les instances au niveau de la zone euro seront aptes à exiger le changement des enveloppes budgétaires…
    … tout en gardant à l’esprit qu’il faut assurer la justice sociale. [=> foutage de gueule, bien entendu]

    et croissance, croissance, croissance…

    Bonne lecture (c’est rapide et aisé, contrairement au G20)

    Et à suivre !

    herman van rompuy

    Cliquez ici (ou sur les graphiques) pour lire le billet complet :
    [Traduction exclusive] Le rapport Van Rompuy

    http://www.les-crises.fr/


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  • De la situation actuelle du capitalisme suisseCette contribution, présentée au congrès de solidaritéS en septembre prochain à Genève, vise à présenter quelques éléments de analyse des particularités du capitalisme suisse dans le but de comprendre la situation exceptionnelle dans lequel celui-ci se trouve en comparaison avec les autres pays capitalistes développés. L’analyse de la crise économique et financière du capitalisme à l’échelle mondiale et européenne ne sera donc guère abordée ici (crise bancaire et d’endettement des Etats, épuisement du modèle d’accumulation « néolibéral », articulation de la crise écologique avec celle du capitalisme, particularités de la crise européenne, …)

     La crise économique dans laquelle l’Europe et d’autres pays économiquement développés (USA et Japon notamment) sont plongés depuis 2008 est la plus profonde que le monde a connu depuis celle des années 1930. Elle est d’autant plus grave qu’elle se combine avec une crise écologique extrêmement profonde, dont la manifestation la plus inquiétante réside dans le réchauffement de plus en plus rapide du climat. Il n’existe à l’heure actuelle aucun signe de reprise. Au contraire, les politiques d’austérité ou d’ajustement structurel très brutales, mises en place de manière ultra autoritaire, depuis 2010-2011, par les classes dominantes dans une série de pays sous l’égide de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds Monétaire International), vont accentuer la crise, au risque de mettre même en danger le projet de construction d’un Etat européen. Les effets sociaux entraînés par la récession et les politiques d’austérité atteignent ou vont atteindre un degré qui n’a plus été connu, également, depuis les années 1930, à l’exemple de la dévastation sociale que subit déjà la Grèce. L’intensification brutale de la polarisation sociale va très probablement se traduire par une instabilité et une polarisation accrues sur le plan politique avec, d’un côté, une remontée des mouvements de lutte et de résistance des salarié·e·s, qui créera notamment une marge de manœuvre nettement plus grande pour la gauche radicale, et, de l’autre, le renforcement des courants autoritaires ou fascisants, y compris au sein des classes dominantes (Grèce, Hongrie).

     

         A contrario, le capitalisme suisse s’est jusqu’à présent remarquablement bien sorti de la crise économique. La récession de 2009 a été de courte durée et ses effets ont été moindres que dans les autres pays centraux du capitalisme. La croissance a repris dès 2010. En Europe, seuls de très rares pays (la Suisse, la Norvège et, dans une moindre mesure l’Allemagne) ont connu une telle réussite de sorte qu’aux yeux de nombreux·euses salarié·e·s en Suisse (et à l’étranger), le capitalisme helvétique apparaît comme un havre ou un modèle.

         Mais il est clair que l’aggravation de la crise économique en Europe et dans le monde se répercutera sur l’économie suisse, sans que l’on puisse actuellement prévoir l’ampleur de ces effets à venir. Plusieurs indices parmi lesquels les récents et sévères projets de suppression d’emplois de Novartis ou de Merck-Serono – laissent cependant entrevoir qu’en Suisse aussi, les travailleurs·euses pourraient être durement affectés. En effet, de même que le capitalisme allemand, le capitalisme suisse est largement tourné vers les exportations. Il est donc tributaire de l’évolution des débouchés dans les pays d’exportations de marchandises et de services. Il s’agit principalement de l’Europe, des USA, du Canada et dans une mesure croissante de la Chine et d’autres pays asiatiques. Toutefois le recul des exportations n’aura un effet majeur sur l’emploi en Suisse que s’il se combine avec un fort recul de la demande sur le marché intérieur. C’est ce qui pourrait arriver si la bulle immobilière, en train de croître depuis quelques années, finit par éclater. Dans ce cas de figure (conjonction de la baisse des exportations et d’une crise de surproduction dans la construction), la hausse du chômage sera très importante. Sans parler de l’incertitude qui continue à planer sur la place financière helvétique. Certes, l’UBS a été sauvée grâce à l’injection de fonds publics d’une ampleur – environ 70 milliards de francs, soit 12 % du PIB – sans précédent dans l’histoire helvétique. Mais la situation de nombreuses banques, dont les deux mastodontes UBS et Crédit Suisse, reste fragile en raison des risques insensés qu’elles ont pris afin de s’approprier des parts encore plus importantes dans le marché mondial de la fraude fiscale ou dans le marché international de la spéculation et aussi en raison de leur engagement très important dans le marché hypothécaire suisse.

    Les particularités du capitalisme suisse :

    Pour comprendre la situation spécifique du capitalisme helvétique, il convient de souligner plusieurs de ses traits.

     

    1) La position spécifique de la Suisse dans la division mondiale du travail et sa forte dimension impérialiste

    Les investissements directs à l’étranger des grandes entreprises transnationales suisses se sont poursuives à un rythme très élevés durant les 15-20 dernières années. 4,5 millions de travailleur·euse·s sont occupé·e·s dans l’économie suisse et 2 millions dans les entreprises suisses à l’étranger, lesquelles se trouvent principalement dans les pays d’exportation des produits de l’industrie helvétique. Cette proportion est exceptionnelle. En comparaison, l’Allemagne a une population active représentant 42 millions de travailleur·euse·s (personnes au chômage compris). Mais les travailleur·euse·s occupé·e·s dans les transnationales allemandes hors de ses frontières sont loin d’atteindre les 20 millions.

         A cette prédominance des investissements directs à l’étranger, il convient d’associer la forte augmentation de la compétitivité des firmes helvétiques. Durant et après la crise de 1991-1994/96, le capitalisme suisse s’est fortement restructuré. Son appareil de production s’est fortement modernisé, les innovations techniques et la réorganisation de la production ont passablement bouleversé le paysage industriel.

         De significatifs gains de productivité ont été obtenus et de nouvelles parts sur les marchés internationaux ont été conquises dès la fin des années 1990 et tout au long de la décennie suivante.

         De 1991 à 2006, la productivité du travail (rapport entre la valeur ajoutée et le nombre global de travailleurs·euses (équivalent plein temps) dans les entreprises industrielles en Suisse a augmenté de 46.4 %. Durant la même période, la croissance nominale des salaires dans l’industrie a été d’environ 24 % (~ 13 % en terme réel). Ce découplage a continué durant les année suivantes. La progression salariale inférieure à celle de la productivité a fait reculer la part des salaires dans la valeur ajoutée. L’augmentation du taux de plus-value ainsi obtenue, ainsi que la conquête de nouvelles parts de marché à l’échelle internationale a permis aux capitalistes de dégager des taux de profit élevés.

         Une des manifestations de cette forte hausse de la productivité du travail et de la compétitivité des produits helvétiques réside dans le fait que la balance des échanges de marchandises de la Suisse, qui avait toujours été négative depuis la fin du 19e siècle (sauf en 1916 et 1944), dégage des excédents depuis 1993 (excepté entre 1997 et 2001). Ces excédents sont devenus particulièrement imposants depuis 2007 : 9,4 milliards en 2007, 15,1 en 2008, 16,7 en 2009, 13,5 en 2010, 16,3 en 2011. Quant à la balance des transactions courantes — qui donne une image assez fidèle de la compétitivité d’une économie — elle dégage systématiquement des excédents extrêmement importants, qui reflètent la force du capitalisme suisse dans l’arène internationale. L’excédent de la balance des transactions courantes de la Suisse en 2010 s’est élevé à 67 milliards $, à comparer aux 170 milliards de l’Allemagne et aux 191 milliards du japon. Tous les autres grands pays capitalistes présentent des balances négatives.

         Le capitalisme suisse a attiré de nouveaux sièges d’entreprises étrangères qui génèrent de très hauts revenus. Ce facteur explique en large partie la croissance des prix dans le secteur immobilier de 5 % à 6 % par année (locaux commerciaux et industriels, logements et maisons de haut standing). La Suisse a encore puissamment renforcé sa place centrale dans le négoce international des matières premières agricoles et minérales. A Genève, Zurich ou Zoug, œuvrent de gigantesques sociétés transnationales qui contrôlent des parts situées entre 30 % et 50 % de ce négoce mondial ainsi que de son financement. Dans le même sens, le gouvernement anglais ayant pris quelques mesures visant à limiter les bonus des banquiers, des fonds spéculatifs ont quitté la City londonienne pour s’installer à Genève. Ces fonds ont réorienté de manière significative leurs affaires dans la spéculation sur les « produits dérivés » liés au commerce des biens alimentaires de première nécessité et des matières premières minérales. Malgré les déboires de l’UBS et la position fragilisée de la place financière suisse, qui a dû céder du terrain en matière de secret bancaire, la Suisse demeure le plus important gestionnaire de fortune privée offshore à l’échelle mondiale. Globalement, le capitalisme helvétique a donc conservé, voire renforcé sa position au sein des puissances impérialistes.

         La politique d’immigration a évolué en fonction des besoins des entreprises suisses axés notamment sur la recherche de travailleur·euse·s très qualifié·e·s et profite de l’accroissement de la formation d’une telle main-d’œuvre dans de nombreux pays émergents (Inde - dont le nombre de ressortissants vivant en Suisse a augmenté de plus de 70 % au cours de 5 dernières années) ainsi que dans les pays capitalistes développés (Allemagne, Amérique du Nord - dont le nombre de ressortissants vivant en Suisse a augmenté de plus de 60 % au cours des cinq dernières années). Depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusque dans les année 1990, le recrutement de la main d’œuvre immigrée se concentrait principalement dans des secteurs nécessitant des travailleurs peu ou moyennement qualifiés (construction, industrie des machines/horlogerie, agriculture, hôtellerie et restauration). Dès les années 1990, de plus en plus d’entreprises suisses recherchent des travailleurs très qualifiés (industrie pharmaceutique et médicale, recherche et développement, activités financières et commerciales). Des milliers de cadres viennent s’installer chaque année pour travailler en Suisse. La profession d’ingénieur tend d’ailleurs à se « prolétariser ». Comme le souligne la Vie économique de juin 2010, « L’immigration, hautement qualifiée dans sa majorité, a exercé une influence plutôt positive sur les salaires des travailleurs·euses peu ou moyennement qualifiés et modératrice sur l’évolution des salaires des travailleurs·euses hautement qualifiés. » (Vie économique juin 2010). Depuis la suppression du statut de saisonnier, en 2003, on assiste également à une forte hausse du nombre des travailleurs·euses frontaliers·ères exploité·e·s en Suisse (de 165 000 en 2002 à environ 250 000 aujourd’hui, soit une croissance de plus de 50 %). Il faut se demander si les frontaliers ne remplissent pas, du point de vue du patronat helvétique, la même fonction que les saisonniers durant des décennies, soit celle de « variable d’ajustement » permettant d’exporter le chômage.

     

    2) Le dumping fiscal continue d’être un atout majeur du capitalisme suisse

    Certes, la crise ayant accentué la compétition et la guerre économique entre les puissances impérialistes, la Suisse a été attaquée par les principales d’entre elles, en particulier au sujet du secret bancaire. Ainsi, les gouvernements allemand, français et américain ont cherché à affaiblir la place financière suisse, tout en préservant d’ailleurs leurs propres paradis fiscaux (places off-shore). Tout en étant obligé d’accomplir des reculs significatifs, les milieux dirigeants suisses ont cependant réussi, jusqu’à présent, à préserver le cœur du secret bancaire en refusant l’échange automatique d’informations fiscales. Ils tentent depuis 2011 de faire diminuer la pression en essayant de conclure des accords basés sur le versement d’un impôt libératoire — ce qui revient à accorder une sorte d’amnistie aux fraudeurs — avec toute une série d’Etats. Il est difficile de dire actuellement si cette stratégie sera couronnée de succès, car la situation est loin d’être stabilisée comme le montrent les récentes demandes de renseignements des autorités US sur des clients américains de onze banques suisses ainsi que le refus de la France de conclure un accord du même type que celui passé avec la Grande-Bretagne, l’Autriche ou l’Allemagne, la ratification de ce dernier étant d’ailleurs remise en question en Allemagne même. En dépit de ces difficultés relatives, la politique visant à attirer en Suisse des entreprises étrangères par le dumping fiscal va se poursuivre, notamment en tentant durant les années qui viennent de diminuer massivement l’imposition des bénéfices de l’ensemble des sociétés établies en Suisse.

     

    3) Situation exceptionnelle des dépenses publiques

    Un autre atout majeur de la Suisse réside dans la situation exceptionnelle de ses dépenses publiques. Le rapport entre la dette brute de toutes les collectivités publiques et le PIB s’élevait à 73 % en 1950. Ce taux a progressivement baissé jusqu’à atteindre 34 % en 1973. Puis il a augmenté au moment des crises économique de 1974/75 et de 1991-1994/96 jusqu’à atteindre 52 % en 1998. Le taux d’endettement a ensuite fortement baissé durant les années 2000 (38 % en 2010). La crise financière et économique qui s’est déclenchée en 2007 n’a donc eu aucune incidence négative sur l’endettement des collectivités publiques, la Suisse étant l’un des très rares pays au monde qui a dégagé des excédents budgétaires depuis 2007 alors que les déficits des Etats membres de l’Union européenne, des USA ou du Japon atteignent des niveaux records, souvent proches de 10 % du PIB. Cela n’empêche pas le gouvernement fédéral de coalition (partis bourgeois et PS) et les gouvernements cantonaux de mener des politiques de limitation des dépenses publiques, dans le domaine de la protection sociale notamment. Comparée aux plans d’austérités extrêmement brutaux qui sont appliquées dans de nombreux pays, la politique financière déterminée par les cercles dirigeants helvétiques apparaît cependant très clémente.

         La hausse du taux de change du franc suisse doit être mis en relation avec cette situation exceptionnelle des dépenses publiques. Le franc est redevenu une monnaie refuge, de même que l’or, en raison de la crise financière qui s’est notamment transformée en crise de l’euro, et dans une moindre mesure du dollar. Outre la situation très saine de finances publiques, la ruée sur le franc suisse s’explique aussi par la solidité de l’économie suisse. En outre, la place financière suisse a cultivé ce rôle de monnaie refuge dès la première guerre mondiale. Durant la seconde guerre mondiale, le franc était la seule monnaie forte convertible en Europe. Il y a donc une tradition historique.

         Les milieux patronaux instrumentalisent la hausse du franc pour obtenir de nouvelles concessions de la part de travailleurs (Lonza, Tesa, etc), ainsi que pour mettre sous une pression maximale les nombreuses entreprises de sous-traitance en Suisse dont les seuls clients sont des grandes entreprises exportatrices.

         La hausse du franc comporte plusieurs avantages pour une industrie d’exportation très fortement implantée en dehors du territoire de la Suisse (voir plus haut). En particulier, les sociétés transnationales profitent du franc fort pour racheter des entreprises à l’étranger avec un taux de change avantageux (Novartis, Roche, Nestlé,…). Les produits semi-finis ou les matières premières achetées à l’étranger deviennent également meilleurs marchés. Les transnationales détenant chacune une puissante division consacrée aux placements de capitaux, leurs actifs financiers sont revalorisés. L’élévation du franc est donc maîtrisable pour lesdites transnationales pour autant que cette hausse se déroule progressivement. Or, la spéculation sur les monnaies a brusquement fait monter le taux de change en août 2011 (par rapport à l’euro et au dollar), ce qui devenait effectivement problématique pour les entreprises exportant des produits manufacturés depuis la Suisse. La décision de la BNS du 6 septembre 2011 de fixer un taux plancher à 1.20 fr. contre 1 euro a depuis mis un frein à la spéculation et rétabli une situation qui paraît acceptable pour l’essentiel du patronat helvétique.

     

    4) Faiblesse de l’impérialisme suisse sur le plan politique international et relative désorientation en matière de politique extérieure et intérieure

    La construction de la puissance économique et financière de l’impérialisme suisse s’est historiquement combinée avec la politique dite de neutralité. Avançant masqués derrière les grandes puissances (GB, USA, FR, Al), les capitalistes suisses ont trouvé ainsi un moyen particulier pour défendre leurs intérêts, ce qui leur a largement profité. Durant des décennies, la grande bourgeoise suisse et les partis politiques qui représentent ses intérêts ont ainsi volontairement joué la carte de l’indépendance politique vis-à-vis des institutions supra-nationales (entrée très tardive au FMI et à l’ONU ; obstruction et non participation à la construction d’un proto-Etat européen). Toutefois, dans le contexte de la crise économique actuelle, de l’extension du proto-Etat européen et de la montée en puissance d’un certain nombre d’Etats comme la Chine, la Russie et le Brésil, la capacité des milieux industriels et bancaires suisses à poursuivre avec succès la voie suivie depuis la Deuxième Guerre mondiale devient plus incertaine, car la relative faiblesse de l’impérialisme suisse sur le plan politique international s’accentue. On a vu l’isolement politique de la Suisse lors de crise avec la Lybie, au moment de l’offensive des USA et de l’UE contre le secret bancaire ou encore dans la mise à l’écart de la Suisse du G20. L’influence qu’exercent les autorités helvétiques sur la définition de la politique économique de l’Union européenne apparaît également de plus en plus restreinte. Dans ces circonstances, les milieux dirigeants se trouvent de plus en plus confrontés à des choix stratégiques, c’est-à-dire des choix d’une portée extrêmement vaste et donc très difficiles à faire. Il est possible, pour ne pas dire probable, que cette situation aggrave les divisions au sein de la classe dirigeante, telles qu’elles s’expriment notamment dans le fait que le parti qui constituait depuis la fin du 19e siècle l’expression presque hégémonique du grand capital, le Parti radical, voit son leadership auprès du patronat contesté depuis une vingtaine d’années par l’UDC. En tout cas, certains signes reflètent une certaine désorientation parmi les milieux dirigeants : contestation contre le conseiller fédéral Merz au moment de la crise libyenne, conflit entre Christophe Blocher, la direction de l’UDC et le président de la BNS qui conduit à la démission de ce dernier, contestation par les grandes banques suisses de la décision de la BNS d’avoir fixé un taux plancher pour l’euro, etc.

     

    5) Vers un programme de revendications économiques « transitoires »

    Sur le plan économique, le Parti socialiste et les Verts ont abandonné, sur le plan de leur politique concrète, et même en partie dans les discours du 1er mai, toute perspective de réforme un tant soit peu sérieuse du système capitaliste. Dans le meilleur des cas, leur politique consiste à proposer des mesures d’accompagnement social ou de modération des attaques lancées par le patronat et ses représentants, ne laissant la plupart du temps aux salarié·e·s que le choix entre la peste ou le choléra. Dans le pire des cas, cherchant à convaincre les milieux capitalistes de leur capacité à gérer le capitalisme avec autant si ce n’est davantage d’efficacité que les Partis bourgeois traditionnels, ils prennent les devants et pratiquent eux-mêmes une politique néolibérale. La mise en œuvre du New Public Management ou le souci presque obsessionnel de garantir l’équilibre budgétaire au détriment des salarié·e·s en constituent de bons exemples. Dans ce cadre, solidaritéS doit mettre en avant un programme de revendications qui, tout en apparaissant comme nécessaires pour faire face à la crise économique et écologique du capitalisme, induisent une dynamique contradictoire avec la logique même du système capitaliste et aboutissant donc à la remise en cause des fondements de ce système.

    Sur le plan économique, un tel programme devrait aller dans le sens suivant :

    -Baisse du temps de travail à 30 heures sans diminution de salaire

    -Interdiction des licenciements à toute entreprise dégageant des bénéfices et, dans ce sens, ouverture des livres de compte de toute entreprise projetant des suppressions d’emplois

    -Nationalisation et contrôle public des institutions de crédit et de la Banque centrale

    -Contrôle public de l’exportation et importation des capitaux

    -Suppression du secret bancaire et échange automatique d’informations fiscales avec les autorités étrangères

    -Réforme de la fiscalité axée sur l’harmonisation fiscale matérielle entre cantons, la diminution radicale des taxes sur      la consommation (TVA, etc.), la forte augmentation des impôts sur les revenus, la fortune ainsi que les bénéfices et le dégagement d’importantes recettes supplémentaires

    -Un Plan d’investissement massif, sous contrôle public, fondé sur les recettes supplémentaires et l’endettement, destiné à réduire de 80 % d’ici 30 ans l’émission humaine actuelle de gaz à effet de serre (développement massif des transports publics gratuits, isolement des bâtiments, développement de la production d’énergies renouvelables, etc.)  

    Sébastien Guex,
    Pierre-Yves Oppikofer

    http://www.solidarites.ch/journal/


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  • Sommet européen du 28 juin : comment juger du succès ou de l’échec de François Hollande

    Sommet européen du 28 juin Il y a fort à parier que François Hollande sortira du sommet européen en proclamant avoir obtenu un compromis avec Angela Merkel. Mais il avait lui-même placé la barre à franchir : « nos amis allemands ne peuvent pas poser deux verrous à la fois, un sur les eurobonds et un autre sur le refinancement direct des dettes par la BCE », déclarait-il le lendemain de son élection. Alors qu’il a déjà renoncé à l’instauration rapide d’eurobonds pour mutualiser les dettes publiques européennes, le président de la République ne pourra se targuer d’un succès qu’à une condition : que la chancelière allemande accepte la possibilité pour la Banque centrale européenne d’intervenir directement pour aider les pays en difficulté. C’est la condition non pas pour sortir de la crise - bien d’autres mesures seraient nécessaires - mais pour soulager un peu la détresse des populations des pays attaquée aujourd’hui par les marchés financiers.

    Pourtant, cela semble mal parti. Sauf grande surprise, en l’absence d’une volonté réelle d’établir un rapport de force, François Hollande se contentera d’un pseudo-pacte de croissance, avec 120 milliards annoncés (soit moins de 1% du PIB européen), dont la moitié consiste en un recyclage de fonds structurels européens déjà prévus, et l’autre en d’hypothétiques partenariats public-privé financés par la Banque européenne d’investissement.

    En revanche, il paraît désormais probable qu’il s’apprête à accepter le Pacte budgétaire. En fait de croissance, celui-ci va considérablement durcir les exigences de réduction des déficits publics et les mécanismes punitifs envers les Etats récalcitrants, donc les politiques d’austérité et la récession. Va-t-on vers une ratification à marche forcé par voie parlementaire en France ? La capitulation devant les forces invisibles de la finance serait alors totale.

    Sans doute sera-t-il également proposé, en conclusion de ce sommet, la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières via une coopération renforcée entre pays de la zone euro. Ce serait un pas important si l’annonce était, cette fois-ci, suivie d’effet, et si l’assiette et le taux de la taxe permettaient de réduire réellement la spéculation et de dégager des ressources nouvelles. Nous attendrons donc avant de nous réjouir. D’autant que cette annonce pourrait servir à faire passer auprès de l’opinion publique la pilule de l’aide inconditionnelle aux banques et de l’aggravation de l’austérité.

    La proposition de taxe portée par Attac depuis sa création en 1998 est nécessaire mais non suffisante pour sortir de la très grave crise économique dans laquelle est plongée l’Europe. C’est l’ensemble des produits financiers spéculatifs qui doivent être interdits. Une refondation de la zone euro est désormais incontournable pour sortir les Etats de la dépendance aux marchés financiers. Les véritables causes de la dette publique doivent être éclaircies, pour mettre à contribution non pas les salariés et les assurés sociaux mais les banques et les plus riches. En attendant, Attac, avec la Fondation Copernic et de nombreuses personnalités de la société civile, demande à François Hollande d’’organiser un vaste débat démocratique sur le Pacte budgétaire, tranché par un référendum.

    Attac France, le 28 juin 2012


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  • Berne damera-t-il le pion à Bruxelles et Moscou dans la guerre des pipelines?

    PAR CHRISTIAN CAMPICHE

    Lancé par une filiale du groupe énergétique suisse Axpo, le projet de gazoduc Trans Adriatic Pipeline (TAP) semble dans les bons papiers des compagnies pétrolières Socar et British Petroleum (BP) qui gèrent les réserves de gaz naturel de l’Azerbaïdjan, nouvel eldorado de l’or noir et gris. Reléguera-t-il aux oubliettes les mégaprojets Nabucco et South Stream, parrainés respectivement par l’Union européenne et la Russie?

    L’heure de vérité étant prévue en 2013, tous les revirements sont encore possibles dans un dossier, celui de l’Europe du gaz naturel, qui nage dans les flatuosités d’un byzantinisme crasse. Desservi par une information lacunaire, le citoyen a du mal à se retrouver dans le labyrinthe des projets de pipelines qui se mitonnent entre les bords de la mer Caspienne et ceux de la Méditerranée. Jusqu’ici Bruxelles et Moscou s’affrontaient seuls dans un combat homérique sous l’œil très peu désintéressé de Washington. Mais désormais, avec TAP, un nouveau larron s’invite aux joutes. Il a la caution de la Suisse et de la Norvège.

    Au départ, la situation est pourtant limpide: à ce jour, le quart du gaz consommé en Europe est d’origine russe, dépendance qui n’a fait que s’accentuer depuis la mise en service, en novembre 2011, du gazoduc Nordstream reliant la Russie à l’Allemagne en coupant par la Baltique pour éviter la Pologne. Cette rente de situation est toutefois menacée par la volonté de plusieurs pays européens de diversifier leurs sources d’approvisionnement. Et c’est ici que les choses se compliquent.

    En 2004, Bruxelles lance le projet Nabucco, un gazoduc destiné à relier l’Azerbaïdjan à l’Autriche, via la Turquie et la Hongrie, en contournant l’Ukraine. L’heure est au refroidissement des relations entre l’Ukraine et la Russie. Pour punir Kiev, Moscou coupe le robinet du pétrole, l’Europe orientale grelotte. Plus jamais ça, semble dire l’Union européenne, décidée à faire l’impasse sur le gaz russe.

    Sentant le danger – le gaz naturel est son fonds de commerce – la Russie riposte. En 2007, elle propulse dans l’arène un projet concurrent, South Stream, qui évite à son tour l’Ukraine. Parti des champs pétroliers russes, le pipeline plonge dans la mer Noire avant d’émerger en Bulgarie et de traverser la Serbie. Bruxelles affecte l’indifférence mais les jalons de la zizanie sont créés, Nabucco prend du retard. Prévue en 2014, sa mise en service est repoussée à 2017 au plus tôt. Le chantier ne démarrera pas avant 2013.

    S’il démarre. Car, entretemps, des événements géopolitiques sont venus troubler la donne. Refroidie par le vote du parlement français reconnaissant le génocide arménien, la Turquie boude Nabucco. De son côté, la Hongrie fait régner le suspense. Partisane de la première heure de Nabucco, Budapest n’a pas tourné casaque, officiellement. Mais en mars dernier, la nouvelle, non confirmée, selon laquelle le groupe gazier hongrois MOL laissait tomber Nabucco a soudain alimenté les gazettes économiques. La réponse du berger à la bergère? L’UE venait de sanctionner durement le déficit public hongrois, gelant une aide de 500 millions d’euros à la Hongrie.

    Il ne manquait plus qu’un projet helvétique pour ajouter à la confusion. En 2008, EGL, filiale zougoise d’Axpo, s’acoquine discrètement avec la compagnie norvégienne Statoil pour parrainer le Trans Adriatic Pipeline, une filière de transport du gaz naturel de la mer Caspienne vers l’Italie, via la Turquie, la Grèce et l’Albanie. En mars 2012, le projet est tiré de son anonymat par Doris Leuthard. En visite à Athènes, la ministre de l’Energie confirme que BP a «nominé» TAP parmi les sociétés susceptibles d’acheminer le gaz naturel azéri en Europe. Le moment ne tient pas au hasard après les bouleversements en Libye qui privent la Suisse du pétrole brut raffiné à Cressier et Collombey. Dans les scénarios de Berne, l’avenir de la diversification de l’approvisionnement gazier a désormais la couleur du gisement de Shah Deniz en Azerbaïdjan.

    Un nouveau corridor gazier qui fait un plaisir fou à Athènes mais s’inscrit en concurrence par rapport à Nabucco et South Stream dont le siège est à Zoug, soit dit en passant. Tant et si bien que Berne, si TAP est retenu, devra prendre le risque de se heurter frontalement à Bruxelles et Moscou. Le choix final de l’exploitant du pipeline n’étant pas attendu avant mi-2013, un débat digne de ce nom ne serait pas superflu dans les milieux politiques. On attend un peu de transparence dans un dossier dont l’opacité n’a d’égal que le désarroi du pékin face à une inconnue concernant rien moins que la troisième source d’énergie du pays.

    http://www.lameduse.ch/


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  • http://img.over-blog.com/300x240/5/38/19/90/Lucien/UE-barbeles.jpg

     Ce type est le président que vous n'avez jamais élu de cette Union européenne à laquelle à peine élu pour -disait-il la réformer- le nouveau locataire de l'Elysée vient de faire allégeance.

     

    Cet Herman Van Rompuy propose d'engager tous les pays membres dans une réforme de leurs systèmes de retraite, en lien avec l'espérance de vie (oui, vous avez bien lu).

     

    C'est ce qu'il propose dans une interview à paraître dimanche dans le journal allemand "Welt am Sonntag".


    "On peut donner des recommandations à l'Union dans son ensemble, comme par exemple qu'il y a une relation entre l'âge de départ en retraite et l'espérance de vie", explique d'abord Herman Van Rompuy.

    "On peut engager tous les 27 pays membres à ce qu'ils réforment leurs systèmes de retraite dans un temps déterminé et de manière conforme à un objectif fixé", poursuit le président de l'UE.


    Selon lui, il est décisif de "ne pas seulement faire des recommandations, puis qu'après chacun fasse ce qu'il veut". "Mais plutôt, dit-il, de le faire de manière contraignante".

    C'est l'un des points que nous devrons discuter dans les mois qui viennent et nous comptons à ce propos mettre quelque chose sur la table au cours du conseil européen de jeudi et vendredi", précise-t-il.

    Les jeudi 28 et vendredi 29 juin, se réunit à Bruxelles un sommet européen crucial des chefs d'Etat et de gouvernement pour tenter de trouver des remèdes à la crise de la zone euro.


    Par ailleurs, alors que le "président de l'UE" a été chargé de préparer un rapport sur les moyens de renforcer l'intégration au sein de l'UE pour ce sommet, il remet à plus tard tout débat sur d'éventuelles réformes institutionnelles de grande ampleur.

    "Je ne considère pas actuellement le débat sur les institutions comme une priorité", dit-il.

    Nous devons gérer la crise à court terme. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin que nous pouvons parcourir dans le cadre des traités. Vouloir changer les traités, c'est ouvrir des débats de toutes sortes pour des années", a-t-il estimé.

    Herman Van Rompuy évoque le projet d'Union bancaire sur lequel les pays européens présents au G20 de Los Cabos (Mexique) se sont engagés à oeuvrer, en début de semaine.


    "L'Union bancaire est un élément fondamental, juge-t-il, ajoutant: "je pense que nous pouvons là avancer plus vite que dans d'autres domaines. Et l'on peut aussi avancer vite sur le contrôle de la Banque Centrale Européenne (BCE) dans le cadre de cette union bancaire", a-t-il précisé.

     

    Soyons clair. S'il n'est pas possible de se rassembler Gare du Nord pour partir à Bruxelles à Luxembourg ou depuis la Gare de l'Est d'aller à Strasbourg, ces parlementaires qui viennent d'être élus, on les laisse tranquille ou on va secouer avec l'énergie nécessaire la porte de leur permanence pour leur rappeler pourquoi et pour qui ils ont été élus ?

     

    Vous avez mis Sarko et sa clique dehors pour rejeter cette politique là. Aller vous laisser le PS la faire ré-entrer par la fenêtre et ainsi baliser un boulevard à la droite et son extrême qui attendent embusquées pour revenir et finir de gratter toutes les garanties sociales?  

    http://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/uploads/2011/08/greek-crisis.jpg

    Par canaille le rouge


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  • Séduire les intellectuels pour éduquer le peuple

    Federico ROBERTI
     
    L’ambassadrice étasunienne Clare Boothe Luce en Italie (1953-1956)

    Avec la fin de la Seconde guerre mondiale, le réseau des services d’information étasunien développé par l’Office of War Information (OWI) et par le Psychological Warfare Branch (PWB) va désormais s’intituler United States Information Service (USIS), en Italie comme dans le reste du monde.

    A l’USIS et à son émetteur radiophonique La Voce dell’America [1], active en Italie dès la fin de février 1942, sera confiée la tâche d’agir « dans le domaine de l’éducation et de la formation mentale des Italiens, pour les orienter vers une vision démocratique de la vie », selon les termes de l’amiral Ellery Stone, chef de la Commission alliée de contrôle en Italie.

    A l’origine, les sièges de l’USIS sont au nombre de cinq, à l’ambassade et aux consulats étasuniens à Rome, Milan, Florence, Naples et Palerme, tandis que des salles de lecture sont progressivement équipées aussi à Gênes, Turin, Bari et Bologne, comme premier pas pour la constitution de l’USIS dans les consulats de ces villes.

    Le Notiziario quotidiano per la stampa, produit à Rome sur la base d’un bulletin qui est radiotélégraphié depuis New York puis traduit et distribué gratuitement aux journaux italiens, est l’organe principal de transmission des informations adopté par l’USIS. En Italie, c’est une édition spécialement étudiée pour l’Europe occidentale qui est envoyée, rapportant des nouvelles concernant surtout la politique étrangère étasunienne et divers approfondissements, ainsi que les textes intégraux des discours officiels de personnalités en vue.

    A partir de 1949, l’USIS commence à collaborer avec la propagande du Plan Marshall [2], gérée directement par l’organisme qui s’occupe de l’allocation des aides, la Economic Cooperation Administration (ECA). Dans cette même période, se fait de plus en plus importante aussi la propagande liée à l’établissement du Pacte Atlantique, signé formellement le 4 avril 1949. A partir de ce moment, les termes concernant la « sécurité » et la « paix » occupent un poste d’importance absolue dans la politique informative de l’USIS, avec une tendance qui va se consolider à partir de la naissance de l’Otan en 1950.

    Tout le programme informatif dépend directement de l’ambassadeur et du directeur de l’USIS, rôle qui est tenu depuis la fin de 1950 par Lloyd A. Free, ancien enseignant à l’université Princeton et directeur-adjoint de l’Office of International information, avec compétence sur la presse, le cinéma et les transmissions radiotélévisées, auprès du Département d’Etat.

    A partir de 1951, grâce à l’augmentation des financements mis à sa disposition, l’USIS Italia va connaître un grand développement, avec 61 employés étasuniens et 237 italiens, dont presque la moitié est en service à l’ambassade à Rome et le reste distribué dans les neuf autres bureaux présents dans le pays.

    Mais la plus grande impulsion au programme informatif et à la conduite de la politique extérieure étasunienne en Italie était encore à venir, et elle allait être le fait d’une femme…

    A la fin de l’année 1952, le républicain Dwight D. « Ike » Eisenhower, ancien commandant en chef des Forces alliées en Europe pendant la seconde guerre mondiale, est élu 34ème Président des Etats-Unis.

    En Italie, Ellesworth Bunker, l’ambassadeur qui avait remplacé James C. Dunn, est destiné à ne rester en poste que quelques mois, car Eisenhower et sa nouvelle administration renouvellent les représentants diplomatiques à l’extérieur par des personnalités fortement liées au Parti Républicain. Pour l’Italie, en mars 1953, le choix tombe sur Clare Boothe Luce, journaliste et écrivain, plus connue en tant qu’épouse (en deuxièmes noces) du très puissant éditeur de Time, Life et Fortune, Henry R. Luce. Ancienne député à la Chambre des Représentants entre 1943 et 1947, Clare Boothe va mettre son anticommunisme viscéral au service de la nouvelle politique de « Ike », vouée à faire barrage au plus important Parti Communiste d’Europe occidentale, qui aux élections de juin 1953 gagne de nouveaux postes au détriment de la coalition centriste conduite par la Démocratie Chrétienne.

    Les années de Clare Boothe à Villa Taverna, siège de l’ambassade étasunienne, sont caractérisées par une ingérence inédite dans les affaires intérieures italiennes. Débarquée de l’Andrea Doria à Naples le 22 avril, elle parcourt le pays sans relâche, depuis ce jour-là, en en visitant les zones les plus reculées, et en présidant foires, premières théâtrales, inaugurations (notamment celle, mémorable, de la Johns Hopkins University à Bologne). Mais avant tout elle s’efforce de gagner la sympathie des gens ordinaires, auprès de qui elle finira par être connue comme une « reine bonne ».

    En de nombreuses circonstances, l’ambassadrice Luce ne cache pas sa propre défiance dans le gouvernement italien comme allié des Etats-Unis, opérant au fil du temps une approche de plus en plus radicale dans la lutte contre le communisme, qui se reflète dans la vaste organisation de l’USIS, lequel, entre temps, avait été englobé par l’agence gouvernementale USIA à peine née [3]. Le « Plan d’action » que celle-ci définit a deux objectifs : d’une part, mobiliser le consensus pour les politiques étasuniennes et accroître la confiance dans les gouvernants de la bannière étoilée, d’autre part s’opposer aux « extrémismes » de droite et de gauche par le biais de l’appel à la « lutte pour la démocratie en Italie ».

    Cela se résout inévitablement en une ingérence de plus en plus évidente dans les affaires intérieures du pays, non seulement dans les questions politiques mais aussi dans celles de la vie quotidienne. En effet, les indications contenues dans le « Plan d’action » de l’USIS pour les années 1953-1955 visent à endoctriner la population dans la longue période, en opérant spécialement dans les écoles, dans les universités et dans les milieux militaires. L’attention de la propagande étasunienne, à partir de ce moment-là, se concentre de plus en plus sur les représentants du milieu intellectuel, les professionnels du domaine de l’information, repérés comme médiateurs culturels et agents d’influence, capables de faire filtrer efficacement chez leurs propres co-nationaux les messages jugés opportuns, dans une sorte d’ « italianisation » de l’effort de propagande qui reflète aussi une réduction des ressources financières à disposition.

    Il s’agit d’un groupe de personnes choisies selon des critères très sélectifs, sur la base de contacts personnels déjà en cours. Ces gens ne seront pas seulement approvisionnés en matériel dans l’objectif de renforcer leurs convictions en syntonie avec la politique étasunienne, mais ils seront aussi poussés à promouvoir les instances chères aux Usa auprès du grand public qui, à leur différence, ne fréquentait pas les centres culturels ou les bibliothèques de l’USIS disponibles dans le pays, n’écoutait pas les transmissions radiophoniques de La Voce dell’America et ne pouvait pas bénéficier des échanges culturels présentés dans le cadre du Programme Fulbright (du nom du sénateur qui en avait parrainé l’adoption).

    D’autres cibles fondamentales de la propagande étasunienne sont les leaders politiques, auxquels on offre des abonnements aux principaux quotidiens d’outre-atlantique, et le monde de l’école et de l’université : en particulier les facultés de droit, creuset des leaders de demain. Dans ce dernier domaine, l’intervention ne se limite pas à des bourses d’études mises à disposition pour fréquenter des cours aux Etats-Unis ou pour faire venir en Italie des enseignants étasuniens, mais à « travailler en direction des recteurs pour inclure des cours d’études américaines (étasuniennes, NdT) dans leurs universités, et en direction du ministre de l’Education pour donner plus d’ampleur aux thèses traitant de ces arguments… » comme indique un document préparatoire, allant même jusqu’à suggérer l’adoption des livres de textes opportuns présentés par les adeptes de l’USIS en Italie.

    Un des objectifs fondamentaux demeure cependant le monde syndical, où l’on intervient spécialement par l’intermédiaire des activistes des syndicats dits « libres », à l’exclusion de la Cgil.

    Ouvrons ici une brève parenthèse [4].

    L’ambassade étasunienne à Rome, pendant la mission de Clare Boothe Luce, fût très active dans le soutien des intérêts des sociétés pétrolières étasuniennes et dans sa lutte, de toutes les manières possibles, contre Enrico Mattei, président de l’organisme pétrolier d’Etat ENI (Ente Nazionale Idrocarburi, Société nationale des hydrocarbures, NdT) depuis sa fondation en 1953 et artisan de la stratégie d’autonomie et d’indépendance énergétique nationale.

    L’attaque contre l’ENI par la presse étasunienne, en particulier celle de toute la chaîne contrôlée par Henry R. Luce, le mari de l’ambassadrice, fut sans répit. Fortune publia un long article de Herbert Solow critiquant le système italien des participations de l’Etat, accusé d’empêcher la libre concurrence, et l’ENI de Mattei, responsable à ses dires du ralentissement des recherches pétrolières et de freiner les investissements étasuniens dans le secteur. Sur des arguments semblables étaient fondées les enquêtes publiées sur Newsweek, Time, The New York Herald Tribune et jusque dans certains journaux locaux. L’un de ceux-ci, The Providence Sunday Journal, publia un article –dont la coupure fut portée à l’attention même du président Eisenhower- où l’on affirmait que l’Italie, afin de pouvoir participer aux affaires pétrolières au Moyen-Orient- était prête à « remettre en jeu ses relations amicales avec l’Occident ».

    L’ambassadrice Luce en personne ne dédaignait par ailleurs pas de contribuer à la campagne contre Mattei. Vincenzo Cazzaniga, à l’époque président pour l’Italie d’une des « Sept Sœurs », Esso pour la nommer, témoigna que Luce, dans une sorte de contrepartie pour avoir soutenu la CISL dans la scission syndicale, avait l’habitude de s’adresser au Secrétaire Giulio Pastore : lequel assurait avoir été littéralement obsédé par l’ambassade à propos de la campagne contre le président de la République de l’époque, Giovanni Gronchi, contre la gauche de la Démocratie Chrétienne ( n) et contre Mattei qui soutenait Gronchi. Il s’agit ici du même Pastore que l’ambassadrice Luce, en d’autres circonstances, accusait de se servir de l’ENI pour introduire des mécanismes de participation ouvrière dans l’organisation de la production, par des initiatives qui auraient été plus favorables à Palmiro Togliatti (alors Secrétaire général du Parti communiste italien, NdT) qu’à la démocratie Chrétienne !

    Fermons la parenthèse.

    Les organes de presse, jugés comme le moyen le plus utile pour influencer tous les « target groups » et qui jusqu’à fin juillet 1953 avaient été approchés par le Notiziario quotidiano per la stampa, sont à présent sensibilisés par l’envoi d’articles écrits spécialement pour eux, et dirigés vers les plus diffusés d’entre eux, avec fourniture aux directeurs et rédacteurs du matériel informatif nécessaire, sur des thèmes sélectionnés, pour qu’ils puissent les rédiger tout seuls. Pour les nouvelles les plus importantes, est activé un canal direct avec les principaux quotidiens et on perfectionne un accord avec l’agence ANSA (agence nationale de presse associée [5], NdT) à laquelle on fait parvenir des communiqués détaillés et complets, à faire tout simplement suivre à ses propres utilisateurs.

    Au cours d’un voyage à Washington en été 1954, l’ambassadrice Luce –accompagnée par le nouveau directeur de l’USIS Italia, Nedville E. Nordness- participe à quelques rencontres avec des fonctionnaires du Département d’Etat et de l’USIA, pour discuter de la réorganisation du service d’information en cours en Italie. C’est l’occasion de souligner l’importance d’infiltrer la Télévision d’Etat d’italienne en gestation, y compris avec la production de séries qui lui seraient spécialement destinées (hypothèse qui est à ce moment-là rejetée à cause de ses coûts élevés), avec la proposition co-latérale de doter tous les sièges de l’USIS d’un téléviseur à placer près de l’entrée, pour qu’il soit visible aussi de l’extérieur afin d’attirer les curieux… et pour suggérer une présence étasunienne plus grande dans les foires et les fêtes locales, qui attiraient alors un important public.

    Les rencontres en question donnent aussi et surtout à l’ambassadrice l’occasion de rappeler la nouvelle ligne des programmes d’action de la propagande culturelle étasunienne en Italie : ligne désormais presque entièrement tournée vers les professionnels de l’information et du monde intellectuel en général, en partant de la conviction, « mûrie après de minutieuses pondérations », que presque tous ceux-ci doivent être convaincus de la solidité de la culture d’un pays étranger avant d’accepter son leadership dans les affaires internationales [6]. Probablement l’ambassadrice pensait-elle à ces intellectuels « qui ne sont pas nos amis inconditionnels » mais qui manifestaient cependant souvent une curiosité pour la réalité américaine (du Nord, NdT), étant d’avides lecteurs de sa littérature ; à trois d’entre eux justement (Ignazio Silone, Primo Levi et Alberto Moravia) auraient été consentis par l’USIS, l’année suivante, des aides financières pour se rendre en visite aux Etats-Unis.

    Dans ce but, en 1954 encore, le Congrès autorise un fonds spécial, appelé President’s Emergency Fund for international Affairs, pour soutenir les programmes développés par l’USIA. Parmi les nombreuses initiatives organisées, concerts, spectacles de théâtre et tournées d’artistes, on rappellera Porgy and Bess de George Gershwin, oeuvre lyrique représentée sur diverses scènes dont La Scala de Milan, à qui l’USIS fournit une grand relief promotionnel.

    On essaie en outre d’assister les institutions culturelles étasuniennes qui ont un siège en Italie, comme l’American Academy et le North American College, afin d’encourager la diffusion des études et recherches sur l’Amérique (du Nord, NdT) en collaborant à l’organisation d’expositions et en faisant la publicité de leurs initiatives.

    Un soutien clair et ouvert est aussi offert à l’Istituto Post-universitario per lo Studio dell’Organisazione Aziendale (Institut Post-universitaire pour l’Etude de l’Organisation Entreprenariale) (IPSOA), fondé par l’université de Harvard et destiné à des opérateurs déjà affirmés mais encore assez jeunes pour assimiler la bonté des principes économiques en vogue outre-atlantique, ainsi que la section européenne de l’Ecole de Recherches internationales Avancées de la Johns Hopkins University [7], dont l’inauguration –naturellement en présence de l’ambassadrice Luce- a lieu en février 1955.

    Le nouveau « Plan d’action » de l’USIS, promulgué en août 1955, rappelle en substance les mêmes principes et objectifs que ceux des deux années précédentes mais il contient quelques précisions importantes comme la quantification des interlocuteurs choisis, 21.000, divisés en huit catégories, bien qu’aucun nom ne soit donné : 2.200 dans le domaine de l’économie et de l’industrie, 2.200 pour l’école et l’université, 3.400 dirigeants des syndicats « libres », 3.200 dans la presse, cinéma, radio et édition, 400 officiers des Forces armées, 6.500 politiques, de niveau national comme local, 2.100 professions libérales des secteurs les plus variés, mais capables par leur notoriété d’influencer les questions politiques et sociales, 1.100 étudiants universitaires, repérés surtout dans les dirigeants des organisations étudiantes. Les premiers cours de littérature américaine (nord-américaine), tenus l’année précédente dans les universités de Rome, Florence et Venise, avaient obtenu un grand succès, et le programme de traduction de textes étasuniens, adoptés ensuite dans les programmes universitaires, continuait aussi à être envoyé si bien que l’USIS de Florence avait réussi à développer à ce sujet un accord triennal avec la maison d’édition bolognaise Il Mulino.

    Le succès s’enregistrait aussi dans le champ de l’information destinée au grand public, du fait que la RAI « couvrait fréquemment les événements suggérés par l’USIS » et que l’ANSA tirait la majeure partie de ses dépêches d’agence sur les questions, pas seulement politiques, étasuniennes, directement des communiqués traduits par l’USIS, avec une procédure qui, entre temps, était devenue vraiment efficiente : le rédacteur en chef de l’USIS à Rome contactait par téléphone l’agence de presse (italienne) et dès que celle-ci indiquait quelles nouvelles, parmi celles du jour, l’intéressaient, celles-ci étaient immédiatement traduites et diffusées.

    A la fin de 1956, quand Clare Boothe Luce quitte sa charge d’ambassadrice, l’USIS italienne constitue un des plus importants et vastes programmes parmi ceux que gère l’USIA dans le monde entier. L’ambassadrice avait désormais décidé de quitter Rome quand l’USIS fit pour elle deux services importants.

    Le premier fut la collaboration offerte par l’éditeur Mondadori pour la traduction et publication en Italie d’un livre d’Alden Hatch, qui sortit en juin 1956 sous le titre Ambassadrice extraordinaire. Le second fut la préparation du texte de la transmission radiophonique en anglais (italiques de la traductrice) par laquelle la RAI adressa ses adieux à la première femme ambassadeur venue d’outre-atlantique : « … she will always be welcome to Italy, even on the briefest of visits ; not as a guest, though. To us, she is and always will be ‘one of the family’” (“de la famille”... surlignage NdT).

    Federico Roberti

    Publié le 14 juin 2012 par http://byebyeunclesam.wordpress.com

    Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

    Apostille de COMAGUER (Comité comprendre et agir contre la guerre, Marseille) pour la version française du texte de F. Roberti :

    Au vu de ce texte très documenté le lecteur français pourrait céder à la tentation de se dire que le contrôle de la France par l’impérialisme étasunien n’a jamais été aussi puissant que celui exercé sur l’Italie, lequel demeure exceptionnellement visible : présence militaire massive avec ou sans truchement de l’OTAN, imbrication transatlantique du grand capital dont l’alliance FIAT-CHRYSLER est le symbole, liens mafieux, anglicisation de la langue quotidienne, jusqu’à un premier ministre issu directement de la banque US sans passer par les urnes, sans oublier évidemment les réseaux stay-behind bien décrits par Daniele Ganser.

    Il y a effectivement une différence de degré.

    Au sortir de la seconde guerre mondiale la France se retrouve dans le camp des vainqueurs. Elle doit cette position avantageuse :

    • à l’alliance des gaullistes et des communistes qui reproduit au niveau national l’alliance mondiale antinazie,
    • au maintien d’un empire colonial qui lui a fourni les bases arrière et les troupes de la reconquête du territoire national,
    • Rien de tel en Italie : elle s’est libérée elle-même du fascisme dans un mouvement où n’a pas existé comme en France une fraction bourgeoise organisée ayant participé à la résistance et ce sont les alliés, les Etats-Unis au premier chef, qui ont imposé aux communistes italiens dominants, avec l’appui de la mafia importée des Etats-Unis une direction bourgeoise entièrement à leur service. Elle a perdu son petit empire colonial sans espoir de reconquête : la loi des vainqueurs.

    Mais nous ne sommes plus en 1945 et De Gaulle est mort. Le gaullisme ne lui a guère survécu puisque le premier geste du faux héritier Pompidou est de se rendre aux Etats-Unis pour faire acte d’allégeance en échange d’un respect du « seigneur » pour l’empire néocolonial du « vassal » stabilisé – pour combien de temps ?- après la perte de l’Indochine et de l’Algérie. En éliminant le gaulliste Chaban Delmas, Giscard, héritier de la France collaborationniste, poursuivra cette politique. Le soir même de son élection il prononce devant les caméras de télévision mondiales un discours en anglais et il propose l’année suivante la création du directoire impérialiste : le G7 outil non statutaire de dessaisissement systématique de l’ONU de ses prérogatives fondatrices.

    Mitterrand va réussir à maintenir cette position de vassal impérialiste en échange de la domestication des communistes transformée aujourd’hui en simple satellisation électorale d’un parti dont le nom n’est plus que celui d’une nostalgie.

    Mais dés ce moment le tropisme étasunien de la classe dirigeante s’affirme et elle s’unifie dans un antisoviétisme orchestré méthodiquement par les Etats-Unis. Le discours de De Villepin à l’ONU contre la guerre d’Irak, qui faisait lui-même écho à la démission de Chevènement en 1991, sera le dernier soubresaut gaullien avant l’agonie.

    Sarkozy n’a plus alors qu’à parachever le travail : se jeter au vu de la planète entière dans les bras de Bush et des néo-conservateurs, s’inspirer des politiques sécuritaires reconfigurées aux Etats-Unis sur la base théorique fournie par l’armée coloniale française, réintégrer complètement l’OTAN et participer activement à toutes les aventures et agressions impérialistes : Afghanistan, Somalie, Libye, Syrie…

    Il ne s’agit évidemment pas des orientations d’un homme seul mais de l’évolution d’ensemble d’une couche dirigeante, à droite comme à gauche de l’alternance, dont le référentiel idéologique commun est le mode de penser du capitalisme impérialiste contemporain.

    En témoigne l’adhésion de nombreux dirigeants français actuels aux cercles néo impérialistes transatlantiques organisés dont le plus structuré est la FRENCH AMERICAN FOUNDATION, fondation bipolaire, un pied à Washington, l’autre à Paris. Présentée sur son site, elle a été bien décrite récemment par l’historien Pierre Hillard dans un texte accessible sur Internet et dont suit un extrait particulièrement démonstratif :

    http://www.voltairenet.org/Un-relais-des-Etats-Unis-en-France

    La clef du système d’influence de la French-American Foundation est sa capacité à recruter des personnes appelées à occuper de hautes fonctions. Sa grande force est d’accueillir en son sein les représentants politiques issus de courants qui, officiellement, s’opposent – des socialistes à l’UMP en passant par le gaulliste Nicolas Dupont-Aignan ou le responsable de la communication de la campagne présidentielle de José Bové, Bernard Loche. Pour éviter toute conclusion hâtive, soulignons que les personnes approchées par la Fondation et qui ont accepté de la fréquenter n’ont pas pour autant accepté les offres de services qui leur ont été ultérieurement présentées.

    C’est dans le programme intitulé Young Leaders qu’une véritable sélection s’opère. Comme l’affirment clairement les textes officiels : « Le programme phare des Young Leaders, piloté par les deux entités (ndlr : New York et Paris), vise à créer et à développer des liens durables entre des jeunes professionnels français et américains talentueux et pressentis pour occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre pays » 

    Au sein de la sélection, c’est le professeur de science politique états-unien et membre du CFR, Ezra Suleiman, qui fut l’unique responsable de 1981 à 1984, puis de 1994 à 2001, du recrutement des Young Leaders en France. Après une sélection drastique, seuls 125 Étasuniens et 126 Français composent les Young Leaders depuis 1981. Dans le cas de la FAF US, nous pouvons citer les noms suivants avec la date d’admission : Antony Blinken (1998, ancien conseiller en politique étrangère du président Clinton), Ian Brzezinski (2001, chargé aux affaires de défense de l’OTAN, fils du célèbre géopolitologue Zbigniew Brzezinski), le général Wesley K. Clark (1983, ex-commandant en chef des troupes de l’OTAN en Europe), le président Clinton (1984) et Hillary Clinton (1983, sénateur).

    Dans le cas de la branche française de la French-American Foundation, nous pouvons relever en particulier :

    Philippe Auberger (1989, député UMP), Yves Censi (2003, député UMP), Jérôme Chartier (2003, député UMP), Nicolas Dupont-Aignan (2001, député UMP, Debout la République), Alain Juppé (1981, député UMP), Éric Raoult (1994, député UMP), Valérie Pécresse (2002, député UMP), Jacques Toubon (1983, député UMP),

    François Hollande (1996, député socialiste), Arnaud Montebourg (2000, député socialiste), Pierre Moscovici (1996, député socialiste), Alain Richard (1981, socialiste, ancien ministre de la Défense)

    Henri de Castries (1994, Directeur général du groupe AXA assurances), Emmanuel Chain (1999, journaliste), Jérôme Clément (1982, Président d’Arte), Annick Cojean (2000, journaliste au Monde), Jean-Marie Colombani (1983, Directeur de la publication du Monde), Matthieu Croissandeau (2002, rédacteur en chef adjoint du Nouvel Observateur), Jean-Louis Gergorin (1994), Bernard Guetta (1981, journaliste à France Inter), Erik Izraelewicz (1994, rédacteur en chef des Échos), Laurent Joffrin (1994, PDG de Libération), Jean-Noël Jeanneney (1983, président de la Bibliothèque nationale de France), Sylvie Kaufmann (1998, journaliste au Monde), Yves de Kerdrel (2005, journaliste aux Échos), Marwan Lahoud (1999), Anne Lauvergeon (1996, présidente d’Areva), François Léotard (1981, ancien ministre de la Défense), Alain Minc (1981), Laurent Cohen-Tanugi (1996, Sanofi-Synthélabo et membre du conseil d’administration du think tank « Notre Europe » créé par l’ancien président de la Commission Jacques Delors , Christine Ockrent (1983), Olivier Nora (1995, président des Éditions Grasset), Denis Olivennes (1996, président de la FNAC)… 


    EN COMPLEMENT :

    Ornella Guyet, la faux-nez "antifa" fréquente les néocons à Paris. Ornella Guyet écrit pour Rue89. Pascal Riché, Rédacteur en Chef de Rue89, se trouve dans la liste des Young Leaders. CQFD ?

    http://www.scribd.com/doc/92211778/Fondation-franco-americai...

    [1] Voir « Exportateurs d’espoir, maîtres en propagande », Roberti F., (2009),

    http://byebyeunclesam.wordpress.com/2009/11/16/esportatori-di-speranza-maestri-di-propaganda/

    [2] http://byebyeunclesam.wordpress.com/2008/09/19/il-piano-marshall-e-la-nato-culturale/

    [3] Voir http://byebyeunclesam.wordpress.com/2011/09/30/cera-una-volta-lusia/

    [4] http://www.ibs.it/code/9788879900102/perrone-nico/obiettivo-mattei-petrolio.html

    [5] http://it.wikipedia.org/wiki/ANSA

    [6] « Quand la CIA finançait les intellectuels italiens, Federico Roberti (2008) http://www.voltairenet.org/Quand-la-CIA-financait-les,157970

    [7] « John Hopkins University, Bologna : étudier, et plus… » : http://byebyeunclesam.wordpress.com/2010/02/08/john-hopkins-university-bologna-studiare-e-non-solo/

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    http://www.legrandsoir.info/seduire-les-intellectuels-pour-eduquer-le-peuple.html

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  • Décapitalison les banques Selon un rapport public de la banque mondiale, les pays en voie de développement doivent se préparer à des jours difficiles.

     

    Et si l’on prend uniquement en considération les pays d’Europe centrale et orientale, les prévisions sont encore moins optimistes : on passerait d’une croissance de 3,1 % enregistrée en 2011 à une croissance estimée à 1,4 % pour 2012. La croissance de la Serbie, par exemple, devrait être ainsi d’à peine 0,5 % pour cette année. Ce sont des données d’autant peu rassurantes dans le contexte actuel de crise internationale que ce pays aspire à rentrer dans l’Union européenne. Son néo-président Tomislav Nikolić l’a confirmé en rencontrant le 14 juin 2012 Catherine Ashton, haute représentante pour la politique étrangère communautaire : « pour Belgrade, il n’y a pas d’alternative à l’Union européenne ».

     

    Une position qui, eu égard aux problèmes rencontrés par les pays européens les plus faibles, pourrait fort ressembler à un suicide. Spécialement pour un pays dont la situation économique et l’indigence de ses citoyens s’aggravent de jour en jour. Á Belgrade, au moment où le chômage explose et où les salaires sont à un niveau historiquement bas, le gouvernement s’acharne sur ce qui reste de l’État social et prend toutes les mesures pour satisfaire les politiques hyper-libérales imposées par Bruxelles. Difficile pour le peuple serbe d’affronter dans ces conditions la vie de tous les jours. Fait symptomatique : certains choisissent désormais d’aller en prison plutôt que de devoir payer des amendes.

     

    Come l’a rappelé dernièrement le quotidien Vecernje Novosti, pas moins de 12.324 cas de ce type ont été constatés rien que dans la capitale serbe en 2011, et on en dénombrait déjà 6.403 à la fin du premier trimestre de cette année. « Les personnes qui demandent instamment de voir leur amende transformée en période de détention sont rares, mais un grand nombre décide volontairement de ne rien payer pendant le terme légal des quinze jours au-delà duquel le juge se voit contraint d’ordonner une période de détention », a déclaré Milan Marinovic, président du tribunal de Belgrade. Le journal serbe relève en outre qu’une journée de prison coûte 1.000 dinars (un euro vaut 116 dinars), et que la somme maximale d’amendes qu’on peut voir transformées en détention est de 60.000 dinars.

     

    Ce qui signifie que quelqu’un qui serait condamné à 100.000 dinars d’amendes pourrait n’en payer que 40.000 à condition de passer soixante jours en détention pour ne pas avoir à débourser les 60.000 restants. Une situation qui met en évidence toutes les difficultés auxquelles est confronté le peuple serbe face à la crise économico-financière qui étrangle le Vieux Continent. Une crise imputable aux errements spéculatifs de la « fortune anonyme et vagabonde » qui a néanmoins pris soin de placer ses laquais à la tête des institutions européennes et des gouvernements. Mais la majorité, la grande majorité, en est réduite aux mesures de rigueur pour payer une dette qu’elle n’a pas souscrite. Il ne tient pourtant qu’à elle de ne pas s’enfermer derrière les barreaux des prisons du capital… et de faire rendre gorge aux responsables.

    Capitaine Martin

    http://www.resistance-politique.fr/


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  • Main basse sur les salaires

    Le consensus de Berlin

    Le consensus de Berlin

    par Anne Dufresne, février 2012

    Avril 2010. La « troïka », composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI), intervient dans les processus de négociation collective en Grèce. Elle exige une baisse des salaires d’environ 25 % dans le secteur public ainsi que la réduction du salaire minimum. En juin, le même trio lance une procédure spéciale enjoignant au gouvernement roumain d’« adopter un code du travail révisé et une législation sur la négociation collective afin de réduire le coût de l’embauche et d’améliorer la flexibilité des salaires (1) ». Un an plus tard, enfin, la Commission européenne appelle la Belgique à réformer son système d’indexation des salaires, arguant que « les coûts unitaires de la main-d’œuvre [y] ont augmenté plus rapidement que dans les trois pays voisins (France, Allemagne, Pays-Bas) (2) ».

    Grèce, Roumanie, Belgique… Depuis quelques mois, Bruxelles place l’évolution des salaires au cœur de sa stratégie de résolution de la crise qui secoue l’Europe. Mieux, elle somme les autorités nationales d’obtenir des baisses. Le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, stipulait pourtant que « la Communauté n’apportera ni appui ni soutien aux activités des Etats membres en matière de rémunération » (art. 2.6), clause reconduite dans le traité de Lisbonne.

    Si la question des salaires a d’abord été exclue des prérogatives communautaires, les contraintes imposées par l’Union — du contrôle des déficits publics à celui de la dette — visaient en partie à garantir la « modération salariale ». Mais ce pilotage s’effectuait à distance, sans intervention directe. Il n’en va plus de même. Et, d’après le président de la Commission européenne, la récente évolution de l’action de Bruxelles n’a rien d’anecdotique. « Ce qui se passe actuellement, affirme M. José Manuel Barroso, est une révolution silencieuse, à petits pas, vers une gouvernance économique plus forte. Les Etats membres ont accepté — et j’espère qu’ils l’ont bien compris — d’octroyer aux institutions européennes d’importants pouvoirs en matière de surveillance (3). »

    Les gouvernements ont décidé de se coordonner pour mener, à l’échelle européenne, une politique commune de régression salariale. Le pacte « euro plus », adopté en mars 2011, accélère le détricotage des modèles de négociation collective. Au-delà de la limitation des dettes et des déficits publics — qu’elle souhaite voir inscrite dans la législation de chaque pays —, l’Union européenne entend désormais s’immiscer dans les négociations nationales pour imposer sa conception de la discipline salariale. Le « paquet sur la gouvernance économique européenne » (« six-pack »), voté par le Parlement européen en octobre 2011, assortit même le pacte — un simple engagement politique entre Etats — de contraintes juridiques.

    Ce dispositif, qui contient six actes législatifs européens, a été adopté dans l’urgence et en toute discrétion. Piloté par la direction générale des affaires économiques et financières (DG Ecfin), les ministres de l’économie et la BCE, il prévoit qu’un « tableau de bord » donnera l’alarme en cas de « déséquilibre macroéconomique » ou d’« écart de compétitivité » jugé trop important à Bruxelles. Si un pays ne se conforme pas aux recommandations, il sera passible de sanctions financières. En matière de salaires, l’indicateur choisi comme niveau à bulle de cette architecture n’a rien d’anodin : on a préféré le coût unitaire de la main-d’œuvre (CUMO) à la part des richesses revenant aux salaires (4). Alors que le premier indicateur reflète l’évolution des rémunérations par rapport au reste de l’Union, le second analyse la distribution des richesses entre travail (salaires) et capital (profits). Le terme « compétitivité » maquille mal la nature du projet : une intensification de la concurrence entre les salariés européens, au sein d’une Union dont les concepteurs affirmaient pourtant qu’elle favoriserait la coopération de ses membres vis-à-vis de l’extérieur...

    Un nouveau modèle est bientôt érigé : l’Allemagne, que les réformes de M. Gerhard Schröder (1998-2005) ont transformée en parangon de modernité. Le 30 mars 2010, Mme Christine Lagarde, alors ministre de l’économie française, observait : « L’Allemagne a accompli un excellent travail au cours des dix dernières années, en améliorant la compétitivité, en exerçant une forte pression sur ses coûts de main-d’œuvre (5). » Un peu plus tard, M. Jean-Claude Trichet, qui occupait alors le poste de gouverneur de la BCE, enfonçait le clou : « Les entreprises allemandes ont su s’adapter rapidement à la mondialisation. (...) Le fait d’être très attentif à ses coûts de production et d’engager des réformes pour rendre l’économie plus souple peut servir d’exemple à tous ses voisins (6). »

    Toutefois, si M. Schröder fut si vite surnommé le « camarade des patrons », c’est peut-être parce que sa bataille pour la compétitivité se solda par une défaite sociale. Sans compter que la stratégie allemande de désinflation compétitive — l’accroissement de la compétitivité des exportations par la réduction des salaires — constitue un parfait contre-exemple de coopération européenne (7). A la fin des années 1990, l’Allemagne avait justifié cette politique par la détérioration de sa balance commerciale et la perte d’efficacité de son économie à la suite de l’unification ; à l’heure actuelle, les indicateurs privilégiés par l’orthodoxie en vigueur sont repassés au vert. Mais à quel prix...

    « Nous avons créé l’un des meilleurs secteurs à bas salaire en Europe », se félicitait M. Schröder en 2005, lors du Forum économique mondial de Davos. Depuis 2003, les politiques de flexibilisation du marché du travail (lois Hartz) ont considérablement appauvri l’Allemagne. Le travail temporaire est devenu un secteur à part entière, certaines allocations de chômage proportionnelles au revenu ont été supprimées et les « mini-jobs » (emplois flexibles payés 400 euros par mois) ont fait leur apparition. En 2011, 40 % des travailleurs étaient embauchés avec des contrats précaires et 6,5 millions étaient des employés « à bas salaire » (moins de 10 euros de l’heure) (8). Les conventions collectives sont également devenues très vulnérables. De tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Allemagne est celui qui a connu la plus lente progression des salaires entre 2000 et 2009. En termes réels (c’est-à-dire en prenant en compte l’inflation), ceux-ci ont baissé de 4,5 %, cependant qu’ils croissaient de 8,6 % en France et de 22 % en Finlande (9).

    En présentant l’Allemagne comme un modèle de sortie de crise, beaucoup omettent de préciser que Berlin parvient à vendre ses produits parce que ses partenaires les lui achètent (10). Les exportations allemandes dépendent donc de la consommation des autres pays de la région, elle-même tributaire du pouvoir d’achat des populations. Ou, pour le dire autrement : les déficits commerciaux des uns conditionnent les excédents des autres. A tel point que, pour l’économiste britannique et éditorialiste au Financial Times Martin Wolf, la résorption de la crise actuelle implique que, dans ce domaine, « l’Allemagne se fasse moins allemande (11) ». Toutefois, les oracles bruxellois n’en démordent pas : les capitales européennes sont invitées à imiter Berlin. Une perspective qui constitue l’aboutissement logique d’une vieille dynamique.

    Dans les années 1980, le système monétaire européen (SME) a imposé à ses membres une politique d’ancrage au deutsche mark et une soumission de fait à une double orthodoxie monétaire et budgétaire dictée par les autorités monétaires allemandes. A l’époque, différentes mesures permettent encore aux Etats d’améliorer leurs coûts relatifs de production : dévaluation (jeu sur les taux de change) et désinflation compétitive (jeu sur les salaires, la fiscalité, etc.). Au début des années 1990, les critères d’ajustement structurel imposés par le traité de Maastricht consacrent l’option d’une coordination libérale des politiques économiques, laquelle résulte du rapport de forces entre les grands pays.

    Tandis que la France réclame la monnaie unique comme garantie d’intégration européenne d’une Allemagne nouvellement unifiée, le chancelier Helmut Kohl impose, en retour, le modèle allemand de banque centrale et son obsession anti-inflationniste. Le déficit public ne devra pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB), la dette publique, 60 % du PIB, et les gouvernements devront viser un « degré élevé » de stabilité des prix (soit « un taux d’inflation ne dépassant pas de plus de 1,5 point le taux moyen des trois Etats membres présentant les taux d’inflation les plus bas »). A ce stade, les rémunérations ne font l’objet d’aucun pilotage direct.

    En 1999, la naissance de l’euro marque un tournant : la monnaie unique interdit aux Etats toute dévaluation ou autres jeux sur les taux de change pour améliorer leur compétitivité. Conséquence : les salaires deviennent la dernière variable d’ajustement dont ils disposent pour améliorer leurs coûts relatifs de production. Une situation qui revient à exercer une pression constante sur le pouvoir d’achat des travailleurs européens. Au cours de cette période, les politiques de négociation collective connaissent une mutation fondamentale et deviennent profondément défensives. Sous la pression des restructurations en cours et de la montée du chômage de masse, beaucoup de syndicats européens (allemands en tête) révisent leurs revendications à la baisse. Comme ils négocient sous la menace de nuire à la compétitivité nationale, leur priorité n’est plus la hausse des salaires mais la conservation de l’emploi.

    Une longue série d’accords d’entreprise entérinant des augmentations du temps de travail contre le maintien des postes illustrent la tendance à la dévalorisation de la négociation de branche dans toute l’Europe, comme en 2004 chez Siemens (Allemagne) ou en 2005 chez Bosch (France). L’allongement du temps de travail équivaut à une réduction du coût du travail. « La Confédération européenne des syndicats (CES) pensait que la modération salariale était un moment nécessaire dans une période de chômage très important (12 à 13 % dans l’Union), raconte M. Jean Lapeyre, à l’époque secrétaire général de l’organisation. On pensait qu’on devait faire cet effort dans l’intérêt de l’emploi. (...) Puis on s’est sentis trahis et trompés par les employeurs, car la part salariale n’a cessé de régresser sans que l’embauche s’améliore (12). »

    Dans un tel contexte, la nature même du salaire se voit entamée. Jusque-là objet de délibération politique par excellence, celui-ci est désormais ramené au rang de vulgaire facteur de pression inflationniste ou d’amélioration de la compétitivité. Ce qui revient à évacuer définitivement la question cruciale de la redistribution des richesses.

    Au niveau de l’Union, les acteurs économiques qui s’emparent ainsi de la question font volontiers l’impasse sur le rôle de la sphère politique dans le choix des options économiques. Selon eux, les partenaires sociaux — appelés à la « responsabilité » — ne peuvent avoir d’autre ambition que de faciliter une nécessaire baisse du Cumo : « Les partenaires sociaux devraient continuer à faire preuve du même sens des responsabilités et négocier dans les Etats membres des accords salariaux qui soient conformes aux principes généraux définis dans les grandes orientations des politiques économiques (13). »

    Théoriquement écarté du domaine de compétence sociale de Bruxelles, le salaire se trouve projeté dans celui des politiques économiques communes. Or le carcan macroéconomique de l’Union ne laisse d’autre perspective que le dumping salarial organisé. Puisque aucun cadre de négociation collective européenne ni aucune harmonisation par le haut n’est pour le moment envisageable dans le cadre du droit européen, la négociation ne se conçoit... qu’à la baisse. Comme si on ne pouvait imaginer une coordination des négociations de salaires à la hausse.

    Anne Dufresne

    Sociologue, chargée de recherche au Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) en Belgique. Auteure de l’ouvrage Le Salaire, un enjeu pour l’euro-syndicalisme. Histoire de la coordination des négociations collectives nationales, Presses universitaires de Nancy, 2011.

    (1) Lettre d’intention du gouvernement de la Roumanie au FMI, 16 juin 2010.

    (2) Commission européenne, «  Evaluation du programme national de réforme et du programme de stabilité 2011 de la Belgique  » (PDF), Bruxelles, 7 juin 2011.

    (3) Discours à l’Institut européen de Florence, 18 juin 2010.

    (4) Lire François Ruffin, «  Partage des richesses, la question taboue  », Le Monde diplomatique, janvier 2008.

    (5) «  Lagarde au Conseil des ministres allemand  », Le Figaro, Paris, 30 mars 2010.

    (6) «  Les pays de la zone euro doivent faire des efforts  », Le Figaro, 3 septembre 2010.

    (7) Lire Till Van Treeck, «  Victoire à la Pyrrhus pour l’économie allemande  », Le Monde diplomatique, septembre 2010.

    (8) Pour plus de détails, lire Bispinck Reinhard et Schulten Thorsten, Trade Union Responses to Precarious Employment in Germany, WSI-Diskussionspapier n° 178, décembre 2011.

    (9) Organisation internationale du travail (OIT), «  Rapport mondial sur les salaires 2010/2011. Politiques salariales en temps de crise  », Genève, novembre 2011.

    (10) Environ 60 % des exportations allemandes sont destinées à la zone euro.

    (11) Martin Wolf, «  A disastrous failure at the summit  », Financial Times, Londres, 14 décembre 2011.

    (12) Entretien avec l’auteur.

    (13) Recommandation du Conseil concernant les grandes orientations des politiques économiques, 15 juin 2001.

    http://www.monde-diplomatique.fr


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  • Russie : l'opposition défie Vladimir Poutine

    100 000 opposants manifestaient mardi au centre de Moscou contre le président russe, selon les organisateurs de la "marches des millions", bravant le durcissement du pouvoir marqué la veille par des perquisitions sans précédent visant les leaders du mouvement.

    Des dizaines de milliers de personnes ont commencé à défiler place Pouchkine pour rejoindre l'avenue Sakharov, où près de 100 000 manifestants anti-Poutine s'étaient rassemblés en février, où aura lieu la "marche des millions" autorisée pour 50 000 personnes par les autorités. "Tout le monde à Moscou! Si vous ne voulez pas vivre dans une dictature, comme avant, alors venez!" twitte Lyapis Troubetskoï sur le site de microblogging. Sur Facebook, plus de 6.500 personnes affirment qu'elles participeront au rassemblement.

    Cette grande manifestation est la première depuis l'investiture le 7 mai au Kremlin de Vladimir Poutine pour un troisième mandat de président après ceux de 2000-2008 et un intermède de quatre ans comme Premier ministre. Elle intervient dans un contexte tendu, après des mesures interprétées par les observateurs comme un signe de durcissement du régime, après une dizaine de perquisitions effectuées lundi au domicile de leaders de l'opposition qui ont été convoqués pour interrogatoire à l'heure où débutera le rassemblement. "Cet interrogatoire est une formalité stupide visant exclusivement à nous empêcher de parler à la manifestation", s'est agacé Alexeï Navalni, blogueur anti-corruption devenu l'une des figures les plus médiatiques de l'opposition libérale, mardi matin à son entrée dans les locaux de la police fédérale. L'opposant anticapitaliste Sergueï Oudaltsov a fait savoir par le biais de son avocat qu'il ignorerait la convocation des autorités et se rendrait directement à la manifestation. Navalni compte également participer au rassemblement. De plus, plusieurs sites web proches de l’opposition russe étaient inaccessibles mardi matin, apparemment victimes d’une attaque en règle, alors que commençait une manifestation anti-Poutine à Moscou, bouclée par les forces de l’ordre.

     

    Des policiers gardant l'entrée du domicile du blogueur anti-corruption Alexeï Navalny

    Vladimir Poutine, qui a remporté en mars dernier l'élection présidentielle "dès le premier tour", mais qui est soupçonné d'irrégularités massives en faveur du parti Russie unie au pouvoir, est la cible d'un mouvement de contestation sans précédent. Après avoir toléré de vastes rassemblements de dizaines de milliers d'opposants, le pouvoir a durci le ton depuis la réélection de l'ancien agent du KGB pour un mandat de six ans. Vendredi, le chef de l'État russe est passé outre l'avis de son conseiller en matière de droits de l'homme et a promulgué une loi augmentant de manière spectaculaire le montant des amendes pour troubles à l'ordre public lors des manifestations. Cette loi prévoit des amendes de 300.000 roubles (près de 7.400 euros), soit davantage que le salaire annuel moyen en Russie, pour les manifestants si leur rassemblement entraîne des violences. Les organisateurs risquent pour leur part un million de roubles (près de 25.000 euros) d'amende. "Certaines personnes auront peut-être peur, mais les gens sont moins effrayés aujourd'hui", a déclaré Sergueï Oudaltsov. "Ils ont plus actifs, et je crois même qu'il y aura plus de monde que ce qui était prévu."

    Boris Nemtsov, un ancien vice-Premier ministre du président Boris Eltsine, également leader d'opposition, a estimé que le régime russe prenait exemple sur le président autoritaire du Bélarus, Alexandre Loukachenko. "Poutine répète ce que Loukachenko a commencé à faire il y a de nombreuses années", a-t-il déclaré à l'antenne de la radio Echo de Moscou. A l'heure de la manifestation mardi, la télévision publique russe retransmettait en direct une cérémonie en grande pompe au Kremlin, où le président Vladimir Poutine remettait des décorations à des personnalités, devant l'ensemble de l'élite politique.


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