• Euro : en sortir ou pas ?

    Une convergence possible dans une stratégie de rupture...

     

    Notes de lectures d’un article de Michel Husson

     

    La lecture de l’article de Michel Husson « Euro : en sortir ou pas ? » est utile. Non seulement, elle permet de faire le tour des points qui le différencie par exemple de Jacques Sapir, mais surtout, il esquisse dans sa proposition d’une « stratégie de rupture » les termes d’un dépassement possible de la contradiction entre les points de vues anticapitalistes pour ou contre cette sortie de l’Euro.

     

    On peut le mesurer à la lecture de cette phrase qui conclut le paragraphe sur cette stratégie de rupture et d’extension

     

    La sortie de l’euro n’est plus, dans ce schéma, un préalable. C’est au contraire une arme à utiliser en dernier recours. La rupture devrait plutôt se faire sur deux points qui permettraient de dégager de véritables marges de manœuvre : nationalisation des banques et dénonciation de la dette.

     

    En quelque sorte, la question n’est plus de savoir si « en théorie », la sortie de l’Euro est bonne ou non, mais plutôt de bien comprendre à quel moment elle serait utilement posée dans les rapports de forces politiques.

     

    Comme aucun anticapitaliste n’imagine que la sortie de l’Euro apporterait la sortie du capitalisme, quand Husson nous dit que la rupture anticapitaliste ne peut que naitre dans le cadre national, et posera nécessairement la question de l’Euro, qu’il faut « rompre avec l’Europe réellement existante », prendre le risque « d’enfreindre les règles européennes »... il y a du grain à moudre pour ouvrir réellement le débat pour un objectif commun de rupture avec le capitalisme

     

    Notes de lecture

    Profit fictif ?

    L’analyse de la crise est bien évidemment pour les communistes une question essentielle. Crise de surproduction ? de taux de profit ?... Un des enjeux est bien la nature parfois dite "financière" de cette crise qui conduit parfois à dire qu’il s’agit, non d’une crise du capitalisme, qui supposerait donc d’en sortir, mais d’une crise du capitalisme financier, et qu’il y aurait donc un compromis temporaire possible avec le capitalisme industriel qui serait victime lui aussi de cette crise. Michel Husson ne soutient pas cette dernière analyse, mais il faut faire attention à certains mots, comme le fait de parler de « profits fictifs ».

     

    Le capitalisme s’est reproduit durant les deux décennies précédant la crise en accumulant une montagne de dettes. [...] En résumé la majorité de la population (travailleurs et retraités) doit assurer la réalisation de profits fictifs accumulés durant de longues années.

     

    De fait, les profits réalisés dans cette période n’ont rien de fictifs ! Comme le montrait avec précision notre regretté camarade Raphael Thaller, aucun centimes des profits accumulés n’est fictif, mais provient uniquement de l’exploitation du travail réel ! L’endettement bien réel sur lequel reposait la croissance notamment états-unienne, ne fait pas de cette part du travail extorqué par le capitaliste quelque chose de fictif. Il parait au contraire indispensable de toujours rappeler aux salariés que ce sont eux, et eux seuls, qui produisent toute la richesse que s’accaparent les bourgeoisies.

     

    Un projet raté ?

    La nature de la construction européenne est aussi un enjeu de l’analyse de cette crise. Car si ce qui se passe révèle une « erreur » de conception du projet européen, qui aurait pu, en corrigeant cette erreur, être réussi, alors on considère que l’Union Européenne est une institution neutre, qui peut être favorable ou défavorable aux travailleurs selon le rapport de forces.

     

    Le ver était dans le fruit. Vouloir construire un espace économique avec une monnaie unique, mais sans budget, n’était pas un projet cohérent. Une union monétaire tronquée devient une machine à fabriquer de l’hétérogénéité et de la divergence.

     

    Mais comment penser que l’Union Européenne, chantre de la concurrence, héritière de la communauté économique du charbon et de l’acier, qui était déjà la continuité du cartel de l’acier d’avant-guerre, comment penser que cette construction pouvait être un outil de convergence des situations des différents pays ? Comment ne pas voir que le capitalisme ne peut JAMAIS trouver l’équilibre et l’égalité, mais qu’il est par nature le lieu de concurrence et d’inégalités qui ne peuvent que provoquer périodiquement des crises ?

     

    D’autant que quelques lignes plus loin, Husson confirme

     

    En réalité, l’euro était conçu comme un instrument de discipline budgétaire et surtout salariale. Le recours à la dévaluation étant impossible, le salaire devenait la seule variable d’ajustement.

     

    Et de fait, c’est ben la vieille concurrence de l’Allemagne qui a marqué la construction européenne, notamment après la « digestion » de l’ancienne RDA. La première guerre mondiale est née de cet affrontement entre la nouvelle puissance industrielle allemande, cherchant des débouchés face à une Angleterre dominant la planète. Ce seront les Etats-Unis qui en sortiront nouvelle grande puissance, et la question sera de nouveau posée pendant la deuxième guerre mondiale qui voit l’émergence du Reich, autrement dit l’empire allemand... Si la bourgeoisie Française a fait le choix de la défaite (plutôt Hitler que le Front Populaire), ce sont bien les logiques de puissance et de leurs (re)partage permanent du monde qui conduise l’Angleterre à défendre une Europe de marché préservant ce qui reste de son rôle mondial, quand la France de De Gaulle tente une alliance pour tenir tête aux USA, alors que l’Allemagne poursuit avec l’Union Européenne son objectif de puissance à l’Est, faisant au passage exploser la Yougoslavie (avec l’aide de l’OTAN, et, déjà l’arme du nationalisme), et installant un Euro-Mark lui assurant la domination économique sur la zone.

     

    Même si la zone euro était globalement en équilibre, l’écart s’est ainsi creusé entre les excédents allemands et les déficits de la majorité des autres pays.

     

    La construction européenne est bien l’outil des stratégies des différentes forces capitalistes, quelque soient les situations politiques dans lesquelles elles s’expriment. C’est sans doute cette analyse manquante de la nature capitaliste de l’UE qui conduit de manière surprenante Michel Husson a titré « pour une refondation de l’Europe », un chapitre qui parle d’alternative au capitalisme. On ne peut que partager l’affirmation d’une rupture par la réponse aux besoins sociaux et une autre répartition des revenus. Mais de quoi parle-t-on alors à propos d’une autre Europe, si ses institutions sont des outils du capitalisme ? Comme si on pouvait demander au FMI ou à la bourse de se transformer en outil de l’égalité et de la redistribution des revenus ?

     

    Oui, une rupture anticapitaliste

    Il faut donc prendre en tenailles les inégalités : d’un côté par l’augmentation de la masse salariale, de l’autre par la réforme fiscale.

     

    Et ce chapitre se conclue sur des objectifs que nous partageons, mais qui fondent justement l’argumentaire de ceux qui pensent qu’une rupture politique dans un pays le conduit nécessairement à se libérer des directives européennes, et donc de fait à poser la question de la sortie des mécanismes économiques de ces institutions, entre autre de l’Euro.

     

    1. résistance aux politiques d’austérité ;
    2. réforme fiscale radicale et contrôle des capitaux ;
    3. nationalisation/socialisation des banques sous contrôle démocratique ;
    4. audit de la dette sous contrôle démocratique suivi d’un éventuel défaut. » (1)

     

    Sortie du capitalisme avec ou sans l’Euro ?

    C’est alors que Michel Husson ouvre la critique de la thèse de sortie de l’Euro. Tout en reconnaissant que l’Euro pose bien un problème aux pays « victimes » de la concurrence sur la compétitivité imposée par l’Allemagne, l’auteur affirme que

     

    La sortie de l’euro ne résoudrait en rien la question de la dette et l’aggraverait au contraire, dans la mesure où la dette à l’égard des non-résidents serait immédiatement augmentée du taux de dévaluation.

     

    Mais si, comme il le propose quelques lignes auparavant, la dette est mise sous audit et que l’état qui choisit une politique de rupture affirme qu’il peut « faire défaut » et refuser de payer (une part de) la dette, alors pourquoi serait-il impossible de lier justement cette reconnaissance ou non de la dette à sa conversion dans une monnaie nationale ?

     

    Le raisonnement devient visiblement fragile quand Michel Husson se laisse aller à reprendre les arguments défaits par l’expérience sur un Euro protecteur...

     

    Revenir à une monnaie nationale dans le cas de pays qui enregistrent d’importants déficits extérieurs les soumet directement à la spéculation sur la monnaie. L’appartenance à l’euro avait au moins l’avantage de préserver les pays de ces attaques spéculatives :

     

    Au contraire, la Grèce, l’Italie, l’Espagne ont bien compris qu’ils pouvaient être attaqués par la spéculation malgré l’Euro, et que le vrai et seul objectif était bien la baisse massive des salaires !

     

    Et au lieu de critiquer le projet de sortie anticapitaliste de l’Euro ? Michel Husson dénonce justement une sortie de l’Euro outil de concurrence entre pays, par la dévaluation compétitive.

     

    Une dévaluation rend les produits d’un pays plus compétitifs, en tout cas à l’égard des pays qui ne dévaluent pas. Il faudrait donc que la sortie de l’euro ne concerne qu’un petit nombre de pays. C’est donc une solution nationale non coopérative où un pays cherche à gagner des parts de marché sur ses partenaires commerciaux.

     

    Or, pour les communistes, la sortie de l’Euro n’a de sens que comme un outil d’une politique de sortie du capitalisme, donc de recherche de coopération internationale, dégagée justement de cette concurrence faussée qu’impose l’Union Européenne. SI la dévaluation serait évidemment techniquement nécessaire, ce n’est pas pour mieux vendre dans ou hors de l’Europe nos propres produits, mais bien comme outil de rééquilibrage des rapports salaires-profits, ce qui rend nécessaire de modifier les prix de produits, en cherchant à baisser le coût relatif des produits de première nécessité, en augmentant le coût relatif des produits de consommation de luxe. Car l’augmentation relative des salaires doit s’accompagner d’un renversement des choix d’investissements pour développer la productivité dans les secteurs nécessaires à la réponse aux besoins sociaux justement.

    C’est bien d’ailleurs pourquoi on ne peut que partager l’idée que la sortie de l’Euro peut tout aussi bien être un choix de défense du capitalisme, et que la condition d’efficacité d’une dévaluation est bien la modification des rapports de force

     

    Pour que la dévaluation serve à la mise en place d’une autre répartition des revenus et d’un autre mode de croissance, il faudrait que les rapports de forces sociaux aient été profondément transformés.

     

    Sortie de l’Euro, préalable, conséquence ou moyen politique ?

    Et on arrive alors à la question clé du « moment » politique ou une question est ou n’est pas posée. Comme le dit Marx, les peuples ne se posent que les questions auxquelles ils peuvent répondre.

     

    Pourquoi alors le peuple pose-t-il avec autant de forces la question de l’Euro ?

    Faire de la sortie de l’euro un préalable revient donc à inverser les priorités entre transformation sociale et taux de change.

     

    Mais qui fait de la sortie de l’Euro un préalable ? Ce qui est sûr, c’est que beaucoup de forces politiques de gauche en font un interdit politique au moment même où le peuple souffre et exprime toujours plus largement un rejet de l’institution européenne et de l’Euro.

     

    C’est la question clé des propositions politiques qui font ou non bouger le rapport des forces. Et quand Michel Husson nous dit

     

    Politiquement, le risque est très grand de donner une légitimité de gauche aux programmes populistes. En France, le Front National fait de la sortie de l’euro l’un des axes de sa politique.

     

    On ne peut que s’étonner qu’il ne fasse pas lui-même la lecture inverse. Si le peuple pose la question de l’Euro, laisser le Front National proposer une seule issue, capitaliste derrière le masque dangereux du national-socialisme, c’est bien le drame d’une gauche, fut-elle radicale, qui soumet toute alternative à l’acceptation du cadre imposé de l’institution européenne.

     

    Car, encore une fois, il ne faut pas déformer les positions des anticapitalistes contre l’Euro dont aucun ne veut

     

    Laisser croire que la sortie de l’euro pourrait en soi améliorer le rapport de forces en faveur des travailleurs est au fond l’erreur d’analyse fondamentale.

     

    Au contraire, la sortie de l’Euro est bien un outil politique de mobilisation pour reconstruire les rapports de force nécessaires au peuple pour une politique de rupture sur les questions clés des salaires, de la fiscalité, de la nature de la croissance.

     

    Mais c’est justement en répondant à cette question que Michel Husson esquisse une position qui peut être une base de rapprochement en affirmant qu’une stratégie de rupture ne doit pas pensée uniquement à l’échelle européenne. La question du cadre national de la rupture, si elle n’est pas posée textuellement

     

    Cet argument passe à côté de la possibilité même d’une stratégie de rupture qui ne présuppose pas qu’elle intervienne de manière simultanée dans tous les pays européens.

     

    Car Michel Husson ne tombe pas dans l’illusion de la promesse de l’Europe sociale unie et égalitaire !

     

    Le choix semble donc être entre une aventure hasardeuse et une harmonisation utopique.

     

    A vrai dire, l’aventure ne fait pas peur aux révolutionnaires !

     

    Cadre national et international

    Michel Husson propose donc une stratégie de rupture, qui peut se construire dans un cadre national, tout en sachant qu’il existe bien des contraintes qui dépassent ce cadre national

     

    Ces enjeux passent par la mise en cause des intérêts sociaux dominants, de leurs privilèges, et cet affrontement se déroule avant tout dans un cadre national. Mais les atouts des dominants et les mesures de rétorsion possibles dépassent ce cadre national :

     

    Il estime que

     

    La seule stratégie possible doit alors s’appuyer sur la légitimité des solutions progressistes, qui résulte de leur caractère éminemment coopératif

     

    En revanche, les solutions progressistes sont coopératives : elles fonctionnent d’autant mieux qu’elles s’étendent à un plus grand nombre de pays. Si tous les pays européens réduisaient la durée du travail et imposaient les revenus du capital, cette coordination permettrait d’éliminer les contrecoups auxquels serait exposée cette même politique menée dans un seul pays

     

    On ne peut qu’être d’accord. A l’évidence, une rupture politique dans un seul pays le mettrait, comme Cuba d’ailleurs, dans une situation difficile, avec une alliance tournée contre lui pour le ramener à la raison capitaliste ! L’effet d’entrainement éventuel serait bien entendu essentiel, et les propositions de coopération pour sortir du cadre de la concurrence une bataille internationaliste essentielle.

     

    Une stratégie de rupture qui pose la question de la sortie de l’Euro

    On arrive alors à une proposition de stratégie sur laquelle beaucoup de militants anticapitalistes de la sortie de l’Euro peuvent discuter :

     

    1. On prend unilatéralement les « bonnes » mesures (par exemple la taxation des transactions financières) ;
    2. On les assortit de mesures de protection (par exemple un contrôle des capitaux) ;
    3. On prend le risque politique d’enfreindre les règles européennes ;
    4. On propose de les modifier en étendant à l’échelle européenne les mesures prises ;
    5. On n’exclut pas un bras de fer et on use de la menace de sortie de l’euro.

     

    Voilà une base de discussion sérieuse qui repose sur le constat de la nature capitalise de l’Union Européenne, de la nécessité d’une rupture anticapitaliste qui se construit dans le cadre national et doit trouver les formes de coopération internationale pour réussir.

     

    A quoi une telle stratégie conduirait-elle ? La sortie de l’Euro peut-elle n’être qu’une menace ? A force d’affirmer qu’elle est impossible, on se demande si la menace peut être prise au sérieux !

     

    Comment construire le rapport de forces nécessaire ?

    L’article se conclue justement sur la question principale, celle des rapports de forces en cherchant à situer le niveau des propositions politiques qui sont utiles à renforcer le camp du travail contre les bourgeoisies.

     

    Michel Husson cite ainsi les questions de la nationalisation et de la dette.

     

    Sur les banques, l’éventail va de la nationalisation intégrale à la régulation, en passant par la constitution d’un pôle financier public ou la mise en place d’une réglementation très contraignante. La dette publique peut quant à elle être annulée, suspendue, renégociée, etc.

     

    On comprend donc bien que la proposition d’un pôle public financier est bien « intermédiaire » entre la régulation proposée par le PS et la nationalisation (proposée par exemple par le parti communiste grec).

     

    Là se situe le véritable débat : quelle est, sur l’échelle du radicalisme, la position du curseur qui permet le mieux de mobiliser ? Ce n’est pas aux économistes de trancher ce débat.

     

    Il faut tirer de ce point de vue des leçons des années passées, notamment en France. Quelle lecture de l’abstention massive du monde du travail et des milieux populaires aux élections européennes ? de l’impasse à laquelle est confrontée le mouvement social pourtant puissant en 2009 mais renvoyé à des échéances électorales dans lesquelles il ne sait pas comment porter la rupture nécessaire ?

     

    La conclusion de l’article parait alors bien surprenante

     

    La tâche prioritaire aujourd’hui est en tout cas, pour la gauche radicale, de construire un horizon européen commun, qui serve de base à un véritable internationalisme.

     

    Ne faut-il d’abord répondre clairement à cette question du « niveau du curseur » qui permet de rendre crédible, par la mobilisation populaire, la rupture politique dans le cadre national. Et « l’horizon européen », dont on ne comprend pas pourquoi il ne serait pas un « horizon international » devient alors un élément nécessaire à la rupture nationale, sans laquelle la mobilisation populaire ne pourrait que se détourner de tout horizon qui l’éloignerait de l’affrontement que le peuple sait profondément nécessaire. 


    Article sur le site de Michel Husson


    URL article : http://lepcf.fr/Une-convergence-possible-dans-une


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