• Église et mal-logés : quand la droite fait barrage à Paris

    Église et mal-logés : quand la droite fait barrage à Paris
     

    Par Renaud Ceccotti

    Ce devait être l’un des plus grands chantiers de la capitale. En 2006, alors que l’immense site de plus d’un hectare appartenant aux Petites sœurs des pauvres était à l’abandon depuis une dizaine d’années déjà, la congrégation religieuse bretonne de Saint-Pern, en Ille-et-Vilaine, décide de mettre en vente, faute de moyens financiers et humains pour le garder en service, son hospice qui s’étend de la rue de Varize au boulevard Murat, dans le XVIème arrondissement. En tout, ce sont 10 214 m² dont un immense bâtiment de quatre étages, une grande chapelle et un parc à la mesure des lieux, à deux pas du Parc des Princes, qui restent vides depuis près de quinze ans maintenant.

    De quoi attirer l’attention du ministère du logement, qui reconnaît que le bâtiment fait partie des immeubles vides qui pourraient servir de logement d’urgence dans les mois à venir tout en se refusant d’évoquer encore une quelconque réquisition forcée. « Nous aimerions une approche volontaire de la part de la congrégation pour pouvoir y loger des sans-abri, d’autant que cela avait déjà été fait de manière provisoire il y a deux ans », explique-t-on au cabinet de Cécile Duflot. Car si les locaux restent vides depuis si longtemps, c’est qu’une bataille juridique et politique fait rage depuis plus de six ans entre la mairie de Paris de Bertrand Delanoë et les riverains, soutenus par la mairie du XVIème arrondissement, gérée par l’UMP Claude Goasguen. Si la mairie de Paris socialiste y voit l’occasion rêvée de mettre l’un de ses quartiers les plus cossus aux normes sociales en vigueur et d’y construire quelques habitations à loyer modéré, l’édile du XVIème arrondissement soutient de son côté l’association SOS Murat Varize, qui s’inquiète pêle-mêle des travaux, du bruit, de la destruction de bâtiments historiques « remplacés par des barres de 10 étages », de la perte d’espaces verts, mais aussi et surtout de l’arrivée de voisins moins fortunés qui risqueraient de faire baisser les prix de l’immobilier de ce quartier propret et aisé…

    Il faut dire que l’affaire est de taille. Le projet de la mairie de Paris depuis 2006 est de créer 180 logements en accession privée, 80 logements sociaux type HLM, un jardin public, une maison de retraite médicalisée comme le demandent expressément les Petites sœurs des pauvres et la conservation de la chapelle en pierre meulière édifiée au XIXème siècle... Pour les Petites sœurs, cela représenterait près de 60 millions d’euros, une somme proche du marché immobilier de l’époque qu’elles pourraient allouer à leurs missions à travers le monde. Une promesse de vente a d’ailleurs été signée à l’époque avec le promoteur immobilier Cogedim, un permis de construire a été déposé dans la foulée et l’architecte de renom Christian de Portzamparc a été choisi pour réaliser les travaux… Mais le maire du XVIème arrondissement de Paris et les riverains ne l’entendaient pas de cette oreille. Différents recours sont présentés devant le tribunal administratif, l’affaire traîne au point d’être abandonnée définitivement en 2010. Surtout, les opposants au projet ont trouvé entre-temps un allié de poids en la personne de Vincent Bolloré. Ce voisin (il habite dans la luxueuse Villa Montmorency, à quelques rues de là) aurait fait une contre-proposition et espérerait garder l’ancien hospice en l’état pour y accueillir justement des sans-abri, dans la veine catholique des Petites sœurs.

    Or depuis 2006, le terrain a pris de la valeur. Le mètre carré dans le quartier se négocie désormais entre 9 000 et 10 000 euros, et la congrégation pourrait tirer de cette nouvelle offre un bien meilleur profit, d’autant que la mairie de Paris, agacée par ces retournements de situations perpétuels, a même menacé de faire valoir son droit de préemption et de récupérer le terrain pour une somme encore plus faible. En début d’année, les Petites sœurs ont alors décidé de retirer leur bien de la vente afin d’éviter cette extrémité et attendent désormais qu’un accord soit trouvé avec Vincent Bolloré, qui gère directement le dossier selon son service de presse et qui n’a pas retourné nos appels.

    Goasguen convoque les « hooligans racistes du Paris Saint-Germain »

    Pendant tout ce temps, l’ancien hospice, qui peut recueillir plusieurs dizaines de personnes, reste vide. Enfin presque. Car en 2009, à l’autre bout de la ville, les Don Quichotte du canal Saint-Martin font parler d’eux. Le Droit Au Logement Opposable (DALO) a vu le jour et la ministre du logement de l’époque, Christine Boutin, du parti chrétien-démocrate associé à l’UMP, décide de faire rouvrir les portes et d’accueillir « de manière temporaire » un centre d’hébergement et de stabilisation pour sans-abri. Soixante-neuf SDF trouvent ainsi refuge dans le bâtiment remis en état par le gouvernement de l’époque. Encore une fois, le maire Claude Goasguen ne voit pas le projet d’un bon œil. Cette fois, ce serait la proximité du Parc des Princes et les « hooligans racistes du Paris Saint-Germain » qui auraient poussé l’édile UMP à se fendre d’une question écrite à l’Assemblée nationale, dans laquelle il explique que « l’implantation d’un centre de stabilisation à proximité de l’enceinte sportive peut faire l’objet d’actes délictueux des hooligans. Dans un quartier fréquemment soumis à des dispositifs de sécurité drastiques, les riverains s’inquiètent de l’implantation d’un centre d’hébergement qui pourrait être la nouvelle cible de violences ».

    Pourtant, cachés derrière des grands murs de 4 mètres de haut, les habitants du centre sont peu visibles et, comme le souligne la société Adoma (ex-Sonacotra) qui gère les lieux pour l’État, les Petites sœurs des pauvres ont bien reçu pendant des années, jusqu’à la fin des années 1990, des personnes défavorisées sans qu’aucun problème ne soit à signaler. Il n’empêche : en 2010, le projet n’est pas renouvelé et les 69 sans-abri sont invités à quitter les lieux. Qu’en est-il aujourd’hui ? Il est bien difficile de démêler cet imbroglio tant la mairie de Paris et celle du XVIème arrondissement n’entendent céder en rien. En mai dernier, l’adjoint au logement de Delanoë, Jean-Yves Mano, annonçait qu’un accord était proche entre les Petites sœurs et un nouvel intermédiaire, travaillant pour le compte de la mairie. Il s’agirait de l’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) qui pourrait racheter, comme prévu dans le premier accord, le terrain pour « une somme proche des attentes de la congrégation » afin d’y construire les logements sociaux (certains en HLM) et une maison de retraite médicalisée (Ephad). Un projet similaire, réalisé en moins de deux ans, a d’ailleurs vu le jour, le mois dernier à Armentières, dans le nord de la France. Il s’agit d’un autre hospice des Petites sœurs des pauvres qui a été réhabilité par l’office départemental HLM du Nord, Partenord. L’intérieur du bâtiment, qui avait été racheté par la ville dès les années 1970 à la congrégation bretonne, a entièrement été remis à neuf pour y construire des appartements tout en conservant l’architecture extérieure et les espaces verts.

    « Nous sommes très fiers de ce résultat. Nous avons pu y loger 48 familles, soit un peu plus de 120 personnes, dans des logements économiquement accessibles », explique ainsi le maire PS d’Armentières, Bernard Haesebroeck, pour qui le projet n’a rencontré aucune opposition, que ce soit de la part de l’Église ou des autres partis politiques. Aux alentours de la rue Varize, dans le XVIème, le son de cloche est différent. Les habitants du quartier se disent confiants. Pour eux, le projet de Bolloré sera retenu. Pour Mme De Brito, la gardienne de l’immeuble situé juste en face de l’ancien hospice, « les riverains sont très contents car il n’y aura pas de destruction. Il y aura un projet humanitaire, ce qui est très bien mais le bâtiment gardera sa forme actuelle. Nous avons reçu un courrier nous expliquant que tout serait fini en 2014 et que les espaces vert seraient protégés… ». Difficile de savoir qui a raison, d’autant que ni la mairie de Paris, ni la mairie du XVIème, ni Bolloré, ni les Petites sœurs des pauvres n’ont voulu répondre à nos questions. « La question est sensible, surtout en ce moment », s’est-on borné à nous répondre. Les déclarations de Cécile Duflot la semaine dernière dans Le Parisien et la tempête de réactions outrées qui s’ensuivit en ont, en effet, fait réfléchir plus d’un.

    Des travaux sont actuellement en cours dans la cour du bâtiment mais la remise à neuf de 2009 par l’État fait du centre de la rue de Varize un candidat idéal qui ne devrait pas manquer de figurer dans l’inventaire des immeubles vides ou quasi vides appartenant à « des institutions, des administrations, des grandes entreprises » qu’a réclamé cette semaine le Premier ministre Jean-Marc Ayrault.

    mediapart.fr


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