LES AGROCARBURANTS ÉCONOMISENT-ILS LES RESSOURCES FOSSILES ?
Pour répondre à cette question, nous devons considérer la dépense en énergie fossile induite par la culture proprement dite, mais aussi la fabrication d'engrais, de pesticides, le transport, le stockage et le processus de transformation des matières agricoles en agro-carburant liquide (par fermentation ou estérification)... Le tableau ci-contre présente le bilan énergétique de chaque agrocarburant par origine de culture : par exemple, pour l'huile de palme, nous avons un ratio de 9 : on dépense 1 unité d'énergie fossile pour en récupérer 9. Seul le sorgho et le maïs pour certaines études, sont à la limite de la rentabilité énergétique, pour les autres cultures par contre il y a bien un effet de levier qui permet d'économiser les ressources fossiles. Les ratios sont les plus élevés pour les plantes cultivées dans les zones tropicales, là où précisément sur notre planète le rendement de production de biomasse est le plus fort (humidité et apport solaire important). Il y a donc une localisation géographique préférentielle de la production, non pas commandée par les hasards de la géologie, comme c'est le cas pour le pétrole au Moyen- Orient, mais par le climat. Remarquons que le gasoil et l'essence présentent des ratios légèrement inférieurs à 1 du fait des dépenses de transport et de raffinage.
LES AGROCARBURANTS DIMINUENT-ILS L'ÉMISSION DE GES PAR RAPPORT L'UTILISATION DE CARBURANTS FOSSILES ?
C'est la question centrale qui concentre toutes les controverses. Pour bien comprendre pourquoi, il faut évidemment dépasser la vision simpliste selon laquelle les GES ne seraient dus qu'aux dépenses d'énergie fossiles liées à la production des agrocarburants. En effet, le méthane, le protoxyde d' azote (issu des engrais) ainsi que le changement d'affectation des terres pour produire ces agrocarburants pèsent lourdement, et c'est ignoré dans la plupart des études, y compris dans les critères européens, le bilan de la FAO et de l'AIE en est un exemple : Les pertes dues au relâchement de carbone et de méthane initialement stockés par les écosystèmes détruits (forêt, tourbière, savane, herbage, culture vivrière..) et remplacés par des terres pour produire des agrocarburants, représentent une « dette carbone » équivalent à 48 ans d'économie de GES qu'engendrerait théoriquement une culture de maïs-éthanol. Dans le cas d'une conversion d'une partie de la forêt amazonienne en des champs de colza-éthanol, il faudra attendre 300 ans pour revenir à l'équilibre, 400 ans dans le cas d'une conversion de forêts tropicales en des plantations de palmiers à huile en Indonésie et Malaisie...On le voit, tous ces délais dépassent largement les échéances invoquées par le GIEC concernant l'urgence des mesures à prendre pour préserver le Climat (2050).
En Europe du fait des réglementations limitant la transformation de prairies ou forêts en nouvelles terres agricoles, on a plutôt le cas de substitutions de cultures de denrées alimentaires par des cultures d'agrocarburants. Cependant, avec l'actuelle mondialisation du marché agricole et le libre échange, cela provoque indirectement un changement d'affectation des terres en dehors d'Europe : les réductions de superficies consacrées aux blés, soja et maïs alimentaires dans les pays du Nord (ou Brésil, Argentine) se traduisent dans le Sud par la mise en culture de nouvelles terres initialement en friche ou par des destructions de forêts tropicales.

Un exemple : les seules exigences européennes d’ici 2020 d'incorporer 10 % d'éthanol et de biodiesel dans tous les carburants, vont provoquer une extension des terres cultivées supplémentaires de 69 000 km2 (la surface de la Belgique ou l'équivalent de toutes les terres arables de la Grande-Bretagne...). La conversion de ces terres relâcherait de 27 à 56 millions de tonnes de CO2 : ainsi l'impact serait de 81 à 167 % plus néfaste en termes de GES que si on utilisait directement les carburants classiques ou, dit plus simplement, l'équivalent de l'émission en GES de 26 millions de véhicules supplémentaires en circulation pendant 20 ans.

Autre facteur sous estimé : l'émission de protoxyde d'Azote (N2O), gaz au pouvoir réchauffant 300 fois plus important que le CO2 : c'est dire l'importance cruciale d'une évaluation la plus exacte possible de ces rejets liés à l'utilisation d'engrais azotés. Difficile à évaluer car il nécessite une traçabilité de la vie des molécules au delà des émissions directes : cela suppose une connaissance très fine du cycle de l'azote (cycle aussi important en science de l'écologie que le cycle de l'eau par exemple). Avec un coefficient d'émission de 1 % jusqu'ici admis, ce gaz annulerait de 20 % les réductions de GES des agrocarburants. Cependant des études récentes montrent qu'on serait plus proche de 3 % voire 5 % ce qui disqualifierait les agrocarburants dès lors qu'ils nécessiteraient l'utilisation d'engrais azotés.

Pour une étude plus large des atteintes à l'environnement, il faudrait inclure les pollutions dues aux engrais, pesticides et la forte consommation en eau de ces cultures : 9 000 litres d'eau sont par exemple nécessaires pour produire un seul litre d'agro-diesel à base de soja (4 000 litres pour le cas de la canne à sucre ou du maïs). L'impact sur la biodiversité, évidente dans le cas de destructions de forêts tropicales, est tout aussi réel dans le contexte Européen avec des monocultures et une pression chimique sur les terres qui les vident de toutes leurs richesses biologiques.

Enfin, beaucoup d'espoirs sont portés sur les agrocarburants de 2e génération : le rendement énergétique serait supérieur d'un facteur 10 en moyenne, par rapport à la première génération, du fait du progrès que constitue la possibilité de décomposer la plante entière pour fabriquer les agrocarburants (graine et tige contre graine seulement aujourd'hui). Mais le procédé reste encore expérimental et ne règle pas tous les problèmes précités.

Texte d'AMAR BELLAL est ingénieur, membre de la commission écologie du PCF.