• Compétitivité de la France et de l’Allemagne

    « Coût » du travail ou financiarisation : Qu’est-ce qui handicape vraiment l’industrie française ?

    Compétitivité de la France et de l’Allemagne : deux visions

     

    Santé

    Nasser 
Mansouri-Guilani, 
responsable des études économiques pour la CGT.Michel Didier, 
président de l’institut 
de conjoncture 
Coe-Rexecode.

    Le gouvernement et le Medef font l’apologie du modèle « virtueux » de compétitivité allemand. En s’appuyant sur l’étude récente 
sur la compétitivité en France et en Allemagne, de l’institut COE-Rexecode, proche du patronat, ministres et grands patrons y sont allés de leur 
couplet afin de montrer que la chute des exportations françaises était due majoritairement à un écart important des « coûts du travail » 
en France depuis 2000. Une analyse serrée des stratégies à l’œuvre de part et d’autre du Rhin montre que les choses ne sont pas si simple.

    Votre rapport met en avant un écart 
de compétitivité dû principalement au coût du travail. Cette vision 
ne fait pas l’unanimité. N’est-elle 
pas réductrice compte tenu 
du nombre de facteurs qui entrent 
dans la notion de compétitivité ?

    Michel Didier. Sous cette forme la question est réductrice. Le message qui ressort est qu’effectivement nous perdons en compétitivité, tant sur les exportations que sur notre création de valeur ajoutée dans l’industrie en France, par rapport à l’Allemagne. C’est un fait. Le débat sur le niveau du coût de l’heure de travail n’est pas, à mes yeux, central. En revanche, la divergence d’évolution France-Allemagne l’est. Ce rapport n’est pas un rapport anti-coût du travail, c’est un rapport cherchant des bons mécanismes pour que, dans les entreprises, nous trouvions les bons arbitrages entre salaires, emploi et durée du travail pour mettre fin à la divergence industrielle France-Allemagne. À partir des années 2000, les Allemands ont mis en œuvre une politique de compétitivité qui a été dure, en réformant le marché du travail, avec des modérations salariales et des renégociations collectives, une politique qui a permis de revenir dans la compétitivité mondiale. La France a fait une politique inverse, en réduisant de façon centralisée la durée du travail, ce qui a plusieurs effets : perte de marchés, augmentation du coût de l’heure de travail et limitation du champ de la négociation dans l’entreprise. Nous avons eu des hausses de prix de nos produits supérieures aux Allemands avec une divergence du coût salarial, même si le salarié n’en a pas bénéficié.

    Nasser Mansouri-Guilani. En préalable, j’insiste sur le fait qu’il s’agit bien d’une commande confiée à un organisme proche du patronat. Ce n’est pas anodin si Mme Parisot reprend à son compte ce qui est proposé. Incontestablement, du point de vue des salariés, la situation en France n’est pas satisfaisante, mais je conteste le raccourci qui consiste à dire que parce que les exportations allemandes sont supérieures aux nôtres, la situation est meilleure en Allemagne et qu’il faut l’imiter. Lorsque l’on se place du côté des salariés allemands, on a une forte progression de la précarité, de fortes inégalités. Chez Volkswagen, il y a quatre statuts différents. Dans certains établissements, les intérimaires sont payés moitié moins que les autres salariés. Cette compression des salaires a eu une conséquence négative sur la consommation. La forte augmentation des exportations allemandes résulte en partie d’une insuffisance de débouchés sur le marché intérieur. J’ajoute qu’il est possible d’avoir des salaires élevés tout en étant compétitif, ce qui renforce la question de la compétitivité hors prix, c’est-à-dire la capacité d’innovation, la qualité des produits, etc. Ces éléments sont connus depuis longtemps. Si vous les évoquez dans l’étude, ils ne figurent pas comme élément central. En revanche, vous insistez sur le coût du travail et la fiscalité du patrimoine.

    Michel Didier. L’Allemagne fait mieux parce que l’industrie au lieu de se contracter se maintient, et même se développe. C’est notre objectif. Il existe tout de même un lien entre les exportations, la capacité industrielle et l’emploi. Certes, nous avons eu une consommation supérieure à l’Allemagne, les Allemands ont quand même payé pour être compétitifs. Mais notre consommation, nous l’avons soutenue en partie par du déficit public qu’il faut maintenant payer, et aujourd’hui l’Allemagne a une croissance plus forte et plus d’emplois. Que se passera-t-il dans la zone euro si nous continuons à diverger ?

    On dit souvent que les Français 
sont les plus productifs au monde. 
La productivité ne compense-t-elle 
pas la différence du coût du travail ?

    Michel Didier. Durant la période, les gains de productivité réalisés n’ont pas été supérieurs en France. Ils n’ont été distribués ni en salaire ni en baisse de prix. On les a utilisés à travailler moins. L’Allemagne les a utilisés pour renforcer son industrie. Hélas on a perdu en compétitivité.

    Nasser Mansouri-Guilani. Le passage aux 35 heures a coïncidé avec une hausse de la productivité du travail, et les gains de productivité sont plus forts en France. Les statistiques le prouvent. De plus, globalement, les Français travaillent plus que les Allemands. Par ailleurs, la réduction du temps de travail a été compensée par une modération salariale.

    Les médecines mise en œuvre depuis 
près de vingt ans n’ont pas produit 
leurs effets. Ne faudrait-il pas 
une tout autre politique industrielle ?

    Michel Didier. L’effort de recherche en entreprise est plus élevé en Allemagne, nos travaux le confirment. Les entreprises françaises ne dégagent pas assez de marges pour les affecter à la recherche. Et on ne peut pas forcer les entreprises à faire plus de recherche puisqu’elles n’ont pas les moyens. Le gouvernement a mis en place le crédit impôt recherche qui ne compense qu’en partie ce problème de financement. Il faudrait que les entreprises fassent plus de marges plutôt que de solliciter la puissance publique. Les dividendes des multinationales, c’est vrai, ont beaucoup augmenté, mais il faut voir d’où viennent ces profits des multinationales. Ils sont réalisés dans les autres pays, dans les pays émergents. C’est une réalité qui ne doit pas être transposée au tissu productif français. L’histoire des profits qu’on redistribue à tour de bras à l’actionnaire n’est pas celle de nos PME.

    Nasser Mansouri-Guilani. Dans cette étude, il y a des absences, extrêmement importantes, comme les choix de politique économique et de gestion des entreprises. C’est là que le rôle de la puissance publique et de la politique industrielle a toute sa pertinence. Par exemple, le crédit impôt recherche (CIR) n’a pas profité aux entreprises qui font de la recherche, un effet d’aubaine a vu le jour. Plus de la moitié des CIR ont été utilisés par les services. Par ailleurs, il est faux de dire que les entreprises manquent de marges pour arriver à financer leur recherche. Selon les comptes nationaux, les dividendes distribués par les sociétés non financières à leurs actionnaires sont passés de 5 % de la valeur ajoutée, au milieu des années quatre-vingt, à 25 % aujourd’hui. Il y a là un problème d’efficacité du système productif. C’est pourquoi on ne peut pas faire abstraction de la stratégie des entreprises, quand on veut traiter de la compétitivité. Les groupes français ont donné la priorité aux marges et à la production totale sur le marché extérieur. Leurs sous-traitants les ont suivis. Les constructeurs automobiles français délocalisent une partie importante de leurs productions à l’extérieur, puis ils importent dans l’Hexagone. Les Allemands ont de la sous-traitance dans les Peco, mais ils ont gardé des bases industrielles. La baisse de la base industrielle en France n’est pas sans lien avec la stratégie des entreprises.

    Michel Didier. C’est vrai que les entreprises allemandes ont plus externalisé dans les Peco. Du côté de l’outre-Rhin, l’objectif de créer de la valeur est partagé, c’est peut-être parce qu’il y a plus de capacité à travailler ensemble.

    Nasser Mansouri-Guilani. Les choix stratégiques de l’entreprise obéissent aujourd’hui à la création de valeur pour l’actionnaire et non de la valeur ajoutée pour répondre aux besoins sociaux et économiques. La priorité est accordée à la rentabilité financière à court terme, au détriment de l’emploi, des salaires, de la recherche-développement, de l’investissement productif. Cette financiarisation de l’économie est apparue moins brutale en Allemagne, y compris parce que les banques ont joué un rôle plus favorable pour l’industrie.

    Partagez-vous cet avis sur le rôle 
des banques dans le financement 
des dépenses de recherche et d’investissement de l’industrie en Allemagne ?

    Michel Didier. Je ne crois pas que ce soit un bon procès à faire aux banques. Je suis d’accord sur le diagnostic, mais les banques face à des entreprises risquées, avec des marges plus limitées, sont obligées d’être plus prudentes. En Allemagne, les entreprises sont plus stables, plus pérennes. Les banques peuvent donner plus de crédits sans prendre plus de risques.

    Nasser Mansouri-Guilani. Avant la crise, les trois quarts de l’activité des banques allemandes se sont réalisés sur la sphère réelle alors qu’en France on a à peu près la relation inverse. Les banques ont tendance à accorder plus facilement des crédits aux financiers qu’au projet d’investissement. J’ai des exemples où le projet de rachat viable par des salariés n’a pas été appuyé par une banque alors que le financier a obtenu le crédit nécessaire. Le rôle de la puissance publique est de mettre le risque au bon endroit. C’est pour cela qu’à la CGT nous proposons de créer un pôle financier public.

    Le rapport insiste sur le besoin 
de baisser de 10 % le coût du travail.

    Michel Didier. Il y a deux manières de gagner en compétitivité. La première à long terme est de développer des actions industrielles. La seconde est de prendre rapidement des mesures pour interrompre la baisse du tissu industriel. Ces deux manières sont complémentaires et nécessaires. Nous ne demandons absolument pas aux salariés de baisser de 10 % leurs salaires, au contraire. La seule manière est de baisser les charges sur le travail, ce n’est pas dans la poche du salarié. À condition que les entreprises les répercutent bien sur les prix, pour regagner en compétitivité. Ce débat doit avoir lieu, aucune solution n’est bonne du côté de la compensation, parce que c’est soit de l’impôt soit de la dépense en moins.

    Nasser Mansouri-Guilani. Nous y sommes totalement opposés. Cette idée de réduire les salaires n’est pas nouvelle. Les cotisations sociales font partie intégrante du salaire, elles financent la Sécurité sociale. Dire qu’il faut réduire les cotisations sociales revient à dire qu’il faut baisser le salaire. Si nous sommes d’accord pour développer l’industrie, je suis absolument contre l’idée de demander encore et davantage de sacrifices aux salariés. Le gouvernement allemand a joué un jeu non coopératif, en portant le fardeau sur les travailleurs. Ce n’est pas un schéma admissible dans l’optique des travailleurs. Demain, on nous comparera avec les travailleurs chinois pour nous demander de nous y adapter. On trouvera toujours un moins-disant social.

    Vous mettez en avant le besoin de négociation dans les entreprises. Qu’entendez-vous par là ?

    Michel Didier. Sur la dernière décennie, grâce à un meilleur système de négociation et à une bonne capacité à travailler ensemble, les Allemands ont obtenu un résultat en termes de compétitivité et aussi d’emploi. C’est un concept qui peut s’appliquer aux relations donneurs d’ordres sous-traitants, et surtout qui peut permettre de trouver de bons compromis dans l’entreprise. C’est au niveau de l’entreprise que les questions relatives à l’emploi, aux salaires ainsi qu’à l’organisation de la durée du travail se dénouent le mieux. Il faut libérer la capacité de négocier pour être plus compétitif.

    Nasser Mansouri-Guilani. Sur le « travailler ensemble », la question de fond est bien celle de critères et de droits. Quelle est la finalité de l’entreprise ? Quelle est la place des salariés dans la définition des choix stratégiques de l’entreprise ? Il existe des négociations dans les entreprises. Mais dès lors qu’il s’agit d’intervenir sur les choix stratégiques, la réponse est non. Nous avons des exemples très nets dans les conseils d’administration. C’est là aussi que la loi doit jouer un rôle.

    Entretien réalisé 
par Clotilde Mathieu


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