• Comment Créer un « nous » de lutte à même d'inverser le cours de l'histoire ?

    Humanite

    Comment Créer un « nous » de lut te à mê me d'inverser le cours de l'histoire ?

    Projeter l’objet du bonheur possible
     
    Par Jacques Broda, sociologue. 

    Nous sommes passés du temps de l’exploitation (les Trente Glorieuses, 1974), au temps de l’exclusion (chômage massif, 1995), à celui de l’extermination (destruction des services publics, 2007). Les trois procédures se chevauchent, s’intriquent, se contredisent dans une souffrance sociale indicible. Une véritable détresse. Dans son dernier ouvrage, Monique Schneider, psychanalyste, parle du « nebenmensch », chez Freud, celui, celle, qui peut entendre, le cri, l’angoisse, l’effroi, du nourrisson, de l’enfant, il l’interprète, passe du besoin au désir, par la parole (1).

    Opérateur magique du lien social, l’autre, ici figure bienveillante, autorise l’homonisation et l’humanisation. En irait-il de même pour le Parti communiste, le Front de gauche, lieux possibles d’une écoute, d’une interprétation, d’une traduction politique de besoins en désirs, et d’une mise en forme par la vraie parole de lutte ?

    Si oui, il y a urgence à resignifier notre combat dans le champ de l’éthique et de l’extermination. Face à la plongée, au gouffre abyssal dans lesquels se trouvent des millions de personnes, il y a urgence non seulement à entendre le cri, fût-il étouffé dans leur gorge, l’appel à ne pas mourir. Ce cri est muet ; il peut prendre des formes paradoxales, dépressives, mélancoliques, haineuses, dans la torsion du désir.

     
    Désigner la cause du malheur et projeter l’objet du bonheur possible, désigne le travail du politique, d’une politique de l’énonciation. Cette politique s’appuie sur les forces vives, et sur les forces en souffrance, non pas comme boulet, poids mort assistantiel, mais comme braises, où la souffrance est cause du savoir. Il y a ici un gisement, une humanité de possibles pas encore complètement détruits par les ravages de l’exploitation, l’exclusion, la maladie, le désespoir…
      

    Les politiques d’assistance ne sont pas une assistance politique, où l’on déverserait un discours populiste (fût-il de gauche) à des populations placées de fait en position d’infériorité sociale et politique. La conquête de la dignité réside dans la re-connaissance de la dignité. Pour travailler depuis vingt ans dans les quartiers populaires de Marseille, je peux témoigner des trésors d’inventivité, de résistance, de générosité ; le sauvetage déploie l’humain dans l’intime du geste, du regard, du sourire, de la parole, de l’action. Avoir résisté à quarante ans de casse sociale, de racisme, de mépris, de haine forge le caractère de millions de personnes, de jeunes issus de l’extermination.

    À l’inverse, à l’opposé, le populisme exerce des ravages inouïs, de l’absence d’organisation de classe, d’identité de classe, de luttes de classes. Aujourd’hui la lutte de classes se mène dans la classe.

    Un espoir se lève, à gauche, il deviendra réalité dans sa rupture intransigeante avec tous les populismes, ne pas éviter la confrontation, en appeler à la responsabilité et re-connaître le travail de la pensée, de l’organisation, des élus. Ré-affilier l’histoire du mouvement ouvrier et du mouvement social, dans le savoir des luttes. Très sujets historiques, c’est connaître, et reconnaître une forme de dette symbolique à l’égard des formes historiques et politiques de nos droits conquis. Effacer cet héritage, cette connaissance consubstantielle au genre humain est déréalisant, déshumanisant. Révisionniste et négationniste le populisme fait de chacun le reflet de lui-même, il coupe la filiation à la racine de l’être. 

    Nier la filiation, l’engendrement, comme essences même de la subjectivité, émergence vitale de l’autre est mortifère. Seule la parole militante n’est pas incestueuse.

    Bannir le « je » du discours politique, insuffler le « nous » comme émergence d’une parole collective, en train de se construire, telle est la mission du Front de gauche. Le programme certes, co-construit, co-élaboré, doit créer une connivence avec ceux à qui il s’adresse, créer un « nous de lutte », non pas un « nous imaginaire », vaste rassemblement informe, qui tairait et tuerait la lutte des classes, pour faire consensus, fausse homogénéité par le bas de l’utopie naissante. Un « nous symbolique ».

    « L’idéologie interpelle l’individu en tant que sujet », souligne Louis Althusser. Il alerte sur toute dérive narcissique du discours politico-médiatique. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, et forçons le sujet comme être de désir et d’action, le sujet collectif. Revendiquons-le, comme le « nous » du sujet historique, à même d’inverser le cours d’une histoire où l’extermination sociale frappe les tympans percés de beaucoup.

    (1) La Détresse aux sources de l’éthique,

    Monique Schneider. Paris, Seuil, 2011.

    Jacques Broda,



    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :