• Ce que disent les communistes de Mélenchon

    Plongée dans les tempêtes qui agitent les crânes communistes. Les sections du PCF débattent actuellement de leur attitude pour 2012. En clair: décider si Mélenchon aura bien l'appui du parti comme candidat du Front de gauche. Alors que le PCF tient son conseil national ce week-end, afin de «voter sur le bulletin de vote» (sic) qui sera proposé au scrutin militant fin juin, Mediapart s'est plongé dans les synthèses des réunions, «remontées» sur le site internet du parti. C'est l'occasion d'appréhender l'état des sentiments des communistes vis-à-vis de celui qui a déjà le soutien de son parti (Parti de gauche) et de Gauche unitaire (GU), les deux autres forces du cartel antilibéral à la gauche du PS, ainsi que la «préférence» de la direction du PCF, exprimée lors du dernier conseil national en avril dernier.
    Jean-Luc Mélenchon espère qu'au moins la moitié de ces militants communistes feront sa campagne 2012. Quant aux autres, il souhaite seulement que, résignés et pensant très fort aux législatives, ils apprendront progressivement à écrire correctement son nom (une petite moitié des synthèses attestent encore le contraire, en parlant de «Mélanchon»). * Ils s'insurgent contre un choix imposé par la direction, préfèrent Chassaigne et craignent la mort du parti.
     
     
    A Sotteville-lès-Rouen, les militants le disent clairement : «Nous alertons sur le fait que les adhérents de base du parti ont le sentiment grandissant d'être dessaisis du choix final. Cela est intolérable!» Dans la section du IXe arrondissement parisien, ils sont «de nombreux camarades» à se sentir «dépossédés de leur capacité de choix» par la direction. «Tout était ficelé d'avance au sommet», «c'est plié», «on nous a mis dans la seringue», estiment les militants. D'autres y vont carrément: «Je pense que les communistes ont été bernés une fois de plus ou une fois de trop»... Bref, «un net désaccord avec la position de P. Laurent», qu'ils assimilent à un «chantage». Toutefois, dans le Territoire de Belfort, un certain «J. J.» note, sans que l'on sache s'il s'en félicite ou le déplore, que «les consultations des adhérents sont relativement récentes (...), l'effacement du PCF devant le PS du candidat Mitterrand s'est fait sans consultation et alors que le PCF avait un score de près de 20%»...
     
    Ils sont plusieurs militants à regretter que L'Humanité n'ait pas davantage fait la promotion du prétendant communiste, André Chassaigne, député n'ayant jamais vraiment réussi à percer le mur médiatique. A Dié, on s'insurge ainsi contre le fait que le quotidien du parti «depuis des mois, assure la promotion de M. Mélenchon, en ne laissant à André que la place pour quelques lignes de temps en temps». Pour d'autres, comme dans beaucoup d'autres sections où la personnalité du député anti-OGM est saluée, «les résultats obtenus par le Front de gauche dans sa région démontrent qu'il n'y a pas de fatalité à ce qu'un communiste puisse incarner le FDG (...) André porte une conception du Front de gauche fondée non sur des appareils et une politique marketing».
     
    Mais à Bobigny, on reconnaît que si «les qualités d'André Chassaigne sont reconnues», elles sont «“malheureusement invisibles” dans le paysage politique actuel». A l'AG départementale de la Nièvre, on constate enfin qu'une candidature d'André Chassaigne «n'aurait aucune raison de faire mieux que celle de Marie-George Buffet en 2007 ou Robert Hue en 2002, où nous avions déjà de bons candidats, un bon programme, et où nous avions fait une bonne campagne. “Il faut changer quelque chose”, dira un camarade». A Béziers, l'hypothèse d'un abandon d'une candidature communiste, «indispensable à de bons résultats aux élections législatives dans la foulée», ne passe pas. Une telle absence «peut mener à terme à la disparition du PCF et renforcerait la politique européenne, soutenue peu ou prou par les sociaux-démocrates».
     
    A Charleville-Mézières, on craint «à l'unanimité» et en majuscules «une dissolution du PCF au sein d'une nouvelle formation comparable à Die Linke. Or, nous estimons que c'est D'UN PCF RENFORCE ET AFFIRME, tant dans ses propositions que dans son idéologie, QU'A BESOIN LE PEUPLE FRANCAIS».
     
    A Montargis en revanche, on fait aussi son autocritique: «Ce qui est dramatique dans le PCF, c'est que depuis 7-8 ans, personne n'ait émergé médiatiquement.» Dans la Nièvre, des camarades «s'inquiètent des conséquences possibles pour les municipales de 2014, dans un département où la quasi-totalité de nos élu-es sont élu-es sur des listes d'union PS-PCF». Un autre a du mal à imaginer la suite: «Si le Front de gauche c'est “l'indépendance” (terme du reste très inexact) systématique par rapport au PS, alors on fait des listes Front de gauche au 1er tour des municipales en 2014 et on disparaît de la quasi-totalité des municipalités.» * Les pro-Mélenchon, par conviction ou par réalisme.
     
    A Toulouse Sud, majoritairement pro-Mélenchon, on estime que «quand Mélenchon parle, ça fait avancer nos idées». A La Cadière aussi, «à l'unanimité moins un camarade qui souhaite encore réfléchir», on considère qu'une telle candidature «n'aboutit pas à un effacement du PCF. Cela démontre, au contraire, son intention de créer les meilleures conditions pour le triomphe d'une gauche bien ancrée à gauche». Même tonalité à La Courneuve, où l'on pense «qu'il ne faut pas forcément un communiste si l'on ne veut pas être hégémonique dans le Front de gauche et ne pas apparaître fermés comme certains, sinon on finira en groupuscule». A Vitry, Mélenchon plaît, notamment en raison de sa verve: «Aux présidentielles c'est plus le langage qui plaît aux gens, et dans ce cadre, un très bon candidat peut être disqualifié.»
     
    D'autres sont joueurs («On n'a pas grand-chose à perdre») ou unitaires et motivés («Lui, c'est une personnalité médiatique. Nous, c'est le nombre et le dévouement»). Plus mesurés, certains jugent l'eurodéputé «capable», d'autres «méfiants sans être opposés», ou «mitigés car tout n'est pas à jeter». Bien que très sceptiques, les communistes de la Nièvre admettent que «la candidature de J.-L. Mélenchon est déjà “actée” dans la population et que tout “retour en arrière” pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'image du PCF (qui serait alors désigné comme le responsable de la division), et pour la candidature qui suivrait». A Foix, on veut «garder à l'esprit qu'aujourd'hui les choses fonctionnent à l'image. On ne peut pas faire abstraction de la dimension médiatique». Pour un camarade de Paris 15 Garibaldi, «il faut se garder de faire la fine bouche sur Mélenchon». Pour une autre intervenante, «on n'est pas dans une situation idéale, mais, compte tenu de la réalité et de l'expérience de 2007, accepter la candidature de Mélenchon est la seule solution possible. Si on choisissait Chassaigne, ce serait la mort du Front de gauche».
     
    Du côté de Faucigny, «beaucoup» estiment aussi que «ne pas retenir la candidature de J.-L. Mélenchon, ce serait mettre fin au mouvement Front de gauche. Le PCF est la force comptant le plus de militants, cela lui donne une grande responsabilité». Son de cloche similaire dans le Gard, malgré une très nette préférence pour André Chassaigne, «très apprécié dans notre section». Mais, pour une «grande majorité des camarades», «la raison nous amène à pouvoir envisager une candidature Mélenchon. Ne pas reproduire le fiasco des comités antilibéraux, garder l'union, et la nécessité d'une couverture médiatique que Mélenchon peut apporter». Un militant du Vaucluse remporte la palme de la formule qui résume l'ambivalence des sentiments communistes, à l'égard du co-président du PG: «Mélanchon a un gros défaut, il n'est pas communiste. Il a un atout, il n'est pas communiste...»
     
    Dans la section du IXe arrondissement de Paris, plusieurs adhérents, «tout en étant très critiques sur la personnalité, les pratiques et certaines des prises de position de Mélenchon, ont dit se résigner à le choisir, “car aujourd'hui, on ne peut plus faire autrement”. La crainte qu'ils expriment, à l'étape actuelle, est celle de recommencer 2007 et d'être tenus pour responsables de la désunion, puisque Mélenchon, largement appuyé par les médias, maintiendrait sa candidature si les communistes faisaient un autre choix». A Manosque, on se dit «d'accord pour Mélenchon, sous condition (...) Il faut préserver l'avenir». A la section de Dijon, «les camarades accepteront la candidature de Jean-Luc Mélenchon à condition que les répartitions des places aux législatives soit un accord signé, avec 80% des circonscriptions pour le PCF, et qu'un accord politique sur le Programme soit adressé à toute la gauche, électeurs socialistes compris». A Bobigny, si «quelques doutes sont émis sur sa posture d'homme providentiel (...), il ressort un accord majoritaire en faveur de cette candidature, avec des positions argumentées (légitimité médiatique de J.-L. Mélenchon, valeurs communes), mais aussi “par défaut”».
     
    A Valdegour, tout semble dans tout, et vice-versa : «Mis en avant par les médias, ils peuvent aussi le laisser tomber ; il fait du théâtre, mais n'en faut-il pas aussi pour gagner?» A Bègles, la candidature de Mélenchon est vécue «comme prévisible et inévitable», «la plus unitaire». «Il faut un candidat qui soit admis par l'opinion», dit l'un des intervenants. A Montargis, on fait preuve d'un réalisme un brin cynique: «Mélenchon ne va pas être élu, ce n'est pas MITTERRAND. On ne peut pas lui demander d'être communiste. C'est malpoli d'accueillir quelqu'un en disant qu'il doit nous ressembler.» Ou encore: «Celui qui va à la présidentielle va dans une galère. Nous ne devons pas pinailler sur le candidat.» Et enfin: «J'aime autant que ce soit MELENCHON qui prenne une tape sur la gueule plutôt qu'un candidat PC.» * Les anti-Mélenchon, surtout contre le «présidentialisme» Dans la section d'Annonay, le vote a le mérite de la franchise: «9 camarades souhaitent que le PCF parte seul et 10 souhaitent que ce soit un communiste dans le cadre du Front de gauche.» Pour certains mécontents, c'est une relative défiance locale à l'égard des mélenchonistes qui s'exprime.
     
    A Besançon, on dit avoir un «problème avec l'antisocialisme du PG». Certains camarades remarquent ainsi que «les militants du PG sont persuadés d'obtenir un fort score aux élections présidentielles (manque d'expérience politique, etc.)» et pensent qu'«à l'issue de cette élection, le PG sera en perte de puissance». Du côté de Bourg-lès-Valence, on dit aussi sa méfiance: «Sur les cantonales, on a été un peu seuls à militer, les camarades du PG on ne les a pas vus... Et quand j'ai posé la question de la participation à la campagne au PG, il m'a été répondu que dès lors qu'ils n'avaient pas de candidats, ils ne voyaient pas pourquoi ils participeraient à la campagne... Ça pose question pour l'avenir. Le PG représente quoi ? Et comment on peut travailler avec eux...»
     
    Parfois, comme à Cholet, les difficultés locales sont reliées à Mélenchon directement: «Une certaine méfiance est exprimée à l'égard de Jean-Luc Mélenchon et de son aptitude à respecter sa parole, plusieurs pensent qu'il agit réellement pour l'effacement progressif du Parti communiste, puissamment aidé par la campagne médiatique... dans sa stratégie de jouer perso, il n'a pas d'autre choix pour faire grandir son petit parti naissant. On l'a vécu dans la section aux cantonales.» Dans la section jurassienne d'Arbois-Poligny-Mouchard, sur les terres de jeunesse de Mélenchon le syndicaliste lambertiste (qui fut pion et maître-auxiliaire à Mouchard), on se dit surtout «heurté par son attitude dans les cantonales sur Dole et son soutien à Patrick Viverge: celui-là on ne sait toujours pas où il est, puisqu'il n'a pas rejoint le groupe de gauche au conseil général et a déjà voté une fois avec la droite!». Dans le comité départemental du Bas-Rhin, on analyse: «Les grands médias font et défont les hommes politiques et les candidats à la présidentielle, c'est ainsi qu’ils font la part belle à J.-Luc Mélenchon, cela ne signifie pas qu'il soit populaire pour autant. Car “populaire” veut dire “aimé du peuple”. A ce jour, rien ne le prouve.»
     
    Dans la section de Pau-Agglo, on considère malgré tout que «la couverture médiatique de Jean-Luc Melenchon amène des camarades à trouver naturelle la candidature de celui-ci». Dans la Drôme, un camarade s'exclame: «JLM lui, c'est “moi je”, il ne conteste pas le présidentialisme... je crains que ce soit JLM qui tue le FdG...» Mais chez les communistes de la Manche, on trouve en revanche qu'«il joue de sa personne, comme le favorisent les institutions de la Ve. Le système est surtout médiatique et c'est lui qui a le micro. Il est connu, même par des gens qui ne s'intéressent pas trop à la politique. C'est un tribun qui peut faire un score autour de 10% et donc permettre d'aborder les législatives dans des conditions plus favorables.» A Sotteville-lès-Rouen, Mélenchon «apparaît comme un “profiteur” de la situation, un utilisateur de l'outil Front de gauche à des fins personnelles. Le terme de coucou a aussi été utilisé!».
     
    A Montargis, Maryse précise la comparaison: «Mélenchon est un coucou qui se met dans le nid des autres, afin d'y prendre les œufs qui s'y trouvent. Il ne me plaît pas. Il veut prendre la place du PCF.» Chez les communistes de la Nièvre, l'individualisme de l'ancien héraut de l'aile gauche du PS pose problème, de même que certaines divergences idéologiques, revenant très souvent dans les synthèses: «Des doutes sont émis par plusieurs camarades sur la capacité de Mélenchon, s'il est candidat à la Présidentielle, à se sentir engagé par ce texte et à en respecter les termes. Plusieurs camarades relèvent, dans les prises de position publiques de J.-L. Mélenchon, des points de divergence qui doivent être traités dans le programme: concernant la “sortie” du nucléaire, l'intervention militaire en Libye, l'épisode de la péniche au soir du 1er tour des cantonales, etc.»
     
    A Angers, on juge que «J.-L. Mélenchon ne respectera pas les accords politiques passés (...) il veut se servir du PCF pour construire son parti (...) On est dans une “stratégie électoraliste avec concessions idéologiques”». A Montargis, on va même jusqu'à trouver qu'«il prend publiquement des positions qui ne sont pas toujours compatibles avec les valeurs portées ou les positions défendues par le PCF». Et on y va carrément: «II surfe sur le populisme comme en témoignent ses attaques répétées contre les journalistes, attaques qui se situent sur la forme et non sur le fond comme le faisait G. Marchais en son temps et à qui on le compare trop souvent!» Un militant de Vitry parvient encore à renchérir: «Mélenchon est sur le même niveau d'argumentation politique que Marine Le Pen. Ce n'est évidemment pas le même, mais c'est le pendant.»
     
    Quelle campagne mèneront-ils ? C'est bien la question de la mobilisation des troupes communistes dans la campagne de Mélenchon qui est en jeu. A Saint-Césaire, on rechigne ainsi devant celui qui «dit beaucoup “Je”», jugé «trop autoritaire»: «Il ne fera pas le rassemblement et il risque d'y avoir une déception parmi les soldats communistes, qui sont les plus nombreux.» Idem dans la Drôme, où l'on précise que «sur le Diois, il ne faudra pas compter sur les camarades pour aller coller les affiches de JLM... A Romans non plus il n'y aura pas grand-monde pour mener la campagne...».
     
    A Aubervilliers, certains soutiennent Mélenchon comme la corde le pendu («C'est un bon choix parce que le personnage est médiatique. Sans avoir aucune illusion sur l'homme, jugé populiste, cabot, etc.») et d'autres vont «même jusqu'à dire qu'ils ne feront pas la campagne s'il est le candidat du Front de gauche». D'autres pensent «qu'il faut au contraire occuper le terrain et se servir de cette candidature pour exister au moment des présidentielles. Dans un contexte général où l'expression politique est polarisée par l'UMP, le PS et le Front national, déserter cette élection reviendrait localement à un suicide politique». Mais beaucoup de communistes font preuve de davantage de volonté. Ainsi à Toulouse Sud, un intervenant voit sa remarque retranscrite comme suit: «Arche de Noé = F de G : on y est et on y reste. Projet politique partagé avec le PG : on ne sera pas d'accord sur tout puisque nous sommes deux partis différents.» Un autre pense possible «de “cadrer” fermement la campagne par un dispositif collectif, des échanges permanents avec le candidat, et par une entière autonomie d'expression du PCF, qui ne devra pas hésiter à s'exprimer publiquement en cas de problème».
     
    On retrouve le même rêve de fil à la patte dans l'assemblée de Nord-Mayenne, où l'on pense au nerf de la guerre avant tout: «Il faudra également être attentif sur les financements de la campagne électorale : pas question que le parti règle à lui seul la facture.» Avant d'ajouter: «S'il devait être candidat (“par malheur”, selon certains camarades), il faudrait le contrôler de très près et continuer de porter une parole communiste.» On comprend mieux ce que Jean-Luc Mélenchon voulait dire quand, lors de ses vœux à la presse en janvier dernier, il déclarait: «Je ne suis pas plus pressé d'être candidat que le Christ ne l'était de monter sur la croix.»
     

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