• Affaire Merah: Pourquoi Tant De Bêtise ?

    L'affaire Merah m'intéresse. Il y a bien entendu la dérive de Merah lui-même, qui a son intérêt. Et surtout, il y a ce qu'on a dit et écrit sur l'affaire. Et là ça devient passionnant.

     

    Merah lui-même est finalement bien peu intéressant. On aura beaucoup glosé sur son parcours: petite frappe de cité, famille abandonnée par le père, passage par la case prison, un voyage aventureux en Afghanistan qui fait penser à ces jeunes tentés par l'aventure et qui au début du siècle s'engageaient dans la Légion Etrangère pour « voir du pays ». Il est inutile d'aller chercher dans ces paramètres celui qui est déterminant dans le passage à l'acte de Merah. La psychologie n'est pas encore - et ne le sera pas avant longtemps - une science.

     

    Et si la statistique permet de faire des rapprochements entre certains paramètres dans l'histoire des individus et certains comportements, un rapprochement statistique ne permet pas d'établir des rapports de cause à effet.  La triste réalité est qu'on ne peut savoir, parmi tous les facteurs de risque plus ou moins probables, lequel a été déterminant dans le passage à l'acte de Merah. Et pas seulement parce qu'il est mort: trente ans après les meurtres commis par Action Directe ou les Brigades Rouges, il est toujours aussi difficile de comprendre pourquoi des étudiants socialement intégrés et ayant leur vie devant eux ont pu décider un jour qu'on pouvait changer la société en assassinant un boucher, un commissaire de police ou un haut fonctionnaire. Le fanatisme religieux ou politique sont-ils les facteurs déclenchant, ou seulement un prétexte commode qu'on se choisit pour pouvoir donner à ses actes criminels une justification qui a les apparences de la légitimité ? On peut avoir son opinion, mais cette opinion n'a aucun fondement factuel.

     

    Mais là où l'affaire Merah devient passionnante, c'est lorsqu'on examine la réaction de la société.

    D'abord, comme nous vivons sous la dictature de l'émotion, on oublie que les actes comme celui de Merah sont extraordinairement rares. Il faut remonter plus de quinze ans en arrière pour trouver un cas de terrorisme semblable (l'affaire Kelkal, en 1995). Cela devrait nous conduire naturellement à la conclusion que nos institutions sont plutôt saines, que nos immigrés ne sont pas si mal intégrés, que nos prisons ne sont pas des écoles de formation au terrorisme.

     

    Curieusement, on tire la conclusion exactement inverse: la DCRI est clouée au pilori pour n'avoir pas établi une surveillance de Merah. Et clouée au pilori par les mêmes qui, si la DCRI avait établi une surveillance systématique autour de tous ceux qui présentent le même profil, auraient dénoncé hautement « l'état policier » et la « surveillance au faciès ». Ceux qui hier s'insurgeaient contre l'interconnexion des fichiers de police poussent des cris d'orfraie en découvrant que les fichiers de police et ceux du renseignement ne sont pas interconnectés.

     

    Cette réaction est d'ailleurs renforcée par notre paranoïa nationale qui fait que toute pollution, tout crime, tout désordre doit forcément avoir un coupable, et que le coupable est forcément l'autorité.

     

    Personne n'est prêt à faire la remarque de bon sens qui veut que le « risque zéro » n'existe pas, et que l'erreur étant humaine, aucun système, quelque soient ses compétences et ses moyens, n'évitera que de temps en temps le pire arrive. Si Merah a pu tuer sept personnes, c'est forcément parce que l'Etat a failli à sa tâche. Quelqu'un a forcément mal fait son travail, et doit être puni pour que la population soit rassurée.

     

    A cette paranoïa s'ajoute l'habituelle immodestie de nos sommités médiatiques et politiques. Dix jours après Fukushima, ils étaient tous des experts en matière nucléaire au point de disserter doctement sur les questions de sûreté et porter des jugements en la matière.

     

    Deux jours après la mort de Merah, les mêmes sont tous devenus des experts en matière de police et d'intelligence au point de pouvoir porter de doctes jugements sur la gestion de l'affaire par le RAID et par la DCRI. Avant de devenir certainement des experts militaires si demain Israël devait bombarder l'Iran, ou des docteurs en politique monétaire si l'Euro devait être en difficulté.

     

    C'est grave parce que le bruit et les bêtises que font ces pseudo-experts nourrissent le mépris pour la véritable expertise. A quoi bon passer toute sa vie à étudier les réacteurs nucléaires ou la gestion des crises terroristes, si n'importe quel politicard peut, en lisant trois dépêches de presse écrites par des journalistes aussi ignorants que lui-même, disserter doctement sur ce qu'il faut faire pour résoudre les problèmes et distribuer des bons et mauvais points ?

     

    Mais peut-être l'affaire qui montre le mieux à quel point la paranoïa et le « victimisme » dominent nos modes de pensée est celle du professeur qui appela ses élèves à faire une minute de silence en hommage à Mohammed Merah. Le discours de l'enseignante est notable: elle « a clairement dit que Mohamed Merah était une victime, que le lien avec Al-Qaïda avait été inventé par les médias et « Sarko ». Elle a ajouté qu'il serait possible de faire une minute de silence pour cette « victime » ».

     

    Difficile de mieux associer paranoïa et victimisme. Paranoïa, parce que sans le moindre élément on déduit que « c'est inventé par les médias et Sarko » (1). Et victimisme, parce que le raisonnement pervers de l'enseignante est que dès lors qu'on est « victime » on mérite un hommage. Quand bien même le lien avec Al-Qaïda serait inexistant, Merah a tout de même assassiné sept personnes de sang-froid.

     

    On me dira que cette enseignante a des problèmes psychiatriques. Je veux bien le croire. Mais même les fous ont une vie sociale et reprennent des discours dominants. Et j'ai personnellement entendu dans la bouche de personnes réputées tout à fait « normales » des discours sur Sarkzoy remplis d'une haine irrationnelle qui ne sont pas très loin de ce qu'a dit cette enseignante. De là à demander des minutes de silence pour les « victimes de Sarkozy » il n'y a qu'un pas.

     

    Un pas que la société franchit allègrement, lorsqu'elle s'autorise à mettre en doute à priori et sans le moindre élément factuel la manière dont la crise a été gérée. Le pompon étant décroché en la matière par le père de Mohamed Merah, qui prétend porter plainte contre l'Etat pour « avoir assassiné son fils ». Vivant, Merah était l'ennemi public N°1 et un « assassin dégénéré » - pour reprendre la formule de Jean-Luc Mélenchon, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire - dont les étranges lucarnes nous peignaient les turpitudes avec un plaisir morbide à peine dissimulé.

     

    Mort, il devient une « victime ». Victime du racisme pour l'un, de la prison pour l'autre, de la police pour un troisième, de Sarkozy pour un professeur avec une araignée au plafond.

     

    Et le plus drôle est que le professeur sera sanctionné, alors que son seul crime aura été de pousser jusqu'au bout le raisonnement « victimiste » que nos élites propagent complaisamment. Jusqu'à excuser l'inexcusable.

     

    Goya avait raison: « Le sommeil de la raison engendre des monstres ».

    Descartes

     

    (1) On n'insistera jamais assez sur les dangers du discours politique qui depuis cinq ans fait de Sarkozy le cerveau qui organise tout, au point que rien n'est censé se faire sans qu'il n'en soit l'organisateur ou à minima qu'il soit au courant. Cette transformation de Sarkozy en figure toute-puissante fait partie de cette vision paranoïaque de la société si courante aux USA mais nouvelle sous nos cieux.

     

    http://descartes.over-blog.fr/article-affaire-merah-pourquoi-tant-de-haine-102586272.html


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