• « Activité syndicale : le crime du siècle ? »

    « Activité syndicale : le crime du siècle ? » (Collectif LBO)

    « Activité syndicale : le crime du siècle ? »Lettre ouverte à Monsieur le président de la République François Hollande. En ce jour de conférence sociale, nous nous félicitons de votre initiative et de votre intérêt pour les revendications syndicales; parmi les thèmes abordés, celui de la démocratie sociale nous paraît essentiel.

    Notre Collectif a porté dès 2006 dans le débat public la question des LBO* en France, attirant l’attention d’acteurs syndicaux, associatifs et politiques sur la question centrale de la transmission des entreprises, et sur les risques inhérents à ce type de montages. De multiples analyses comptables ont  montré, depuis, une déformation préoccupante de la répartition de la valeur ajoutée dans ces sociétés, au profit des actionnaires et au détriment des salariés et de l’investissement.

    • La prise de participation des fonds d’investissement dans de nombreuses entreprises ne laisse pas d’être inquiétante.

    Rappelons qu’en 2006 déjà, les entreprises sous le contrôle des fonds d’investissement généraient près de 10% du PIB français, contre 25% du PIB aux Etats-Unis. Cette forme de reprise d’entreprises représente un coût élevé pour nos finances publiques par l’incitation fiscale octroyée et soutenue par les gouvernements précédents, qu’il s’agisse de la déductibilité des intérêts de la dette LBO, de la niche dite « Copé » (évaluée de 4 à 22 milliards de manque à gagner pour l’Etat selon les sources), du crédit d’impôt recherche astucieusement détourné de sa finalité, de subventions publiques sans contreparties peu contrôlées et jamais remises en cause, voire même d’évasion fiscale.

    A cet égard, il n’est pas inutile de relever que la Cour des comptes, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques remis récemment à Monsieur le Premier Ministre, préconise de réexaminer « les dispositions du régime d’intégration fiscale des groupes de sociétés qui vont au-delà de la simple compensation des résultats bénéficiaires et déficitaires ».

    M. Philippe Marini, président de la commission des finances du sénat, soulignait d’ailleurs, lors de la séance du 6 décembre 2011, que le gouvernement de l’époque évaluait le rendement potentiel de l’écrêtement de la déductibilité des intérêts d’emprunt par rapport au résultat fiscal d’une entreprise à 17 milliards d’euros. Ces 17 milliards, offerts gracieusement aux actionnaires, pourraient utilement réintégrer les finances publiques en limitant le recours au surendettement des entreprises dans les opérations de LBO.

    • Vous recherchez des milliards, Monsieur la président ? Voilà où les trouver !

    Au sein des entreprises sous LBO, le creusement des inégalités salariales, le faible niveau d’investissement, les destructions inutiles d’activités et d’emplois qualifiés concourant à la désindustrialisation de notre pays, participent de préoccupations majeures pour notre économie, alors qu’investisseurs en capital et banquiers se partagent les fruits de ces opérations déstabilisantes.

    Ainsi, les entreprises sous LBO font régulièrement la une de l’actualité tout comme le « mur de la dette LBO » révélé par l’économiste Nouriel Roubini rejoint maintenant par la plupart des analystes financiers. Vous-même êtes intervenu, durant la campagne présidentielle, en soutien de salariés confrontés à cette logique de financiarisation outrée de l’économie.  S’agissant de la dette LBO, elle  présente un risque  majeur d’explosion  de nature « systémique » dès 2013-2014 !

    • Donner toute sa place à l’action syndicale et aux comités d’entreprise.

    Si votre mandat exige de relancer la croissance dans la justice et de redresser les finances publiques, il nécessite également, selon nous, de donner toute sa place à l’action syndicale et aux comités d’entreprise.

    La criminalisation des syndicalistes et la dépénalisation des patrons, renforcées depuis 10 ans par les lois Perben et Sarkozy, doivent être remises en cause immédiatement, constituant un préalable.
     
    Mais c’est bien dans l’octroi de nouveaux droits d’intervention que les comités d’entreprise pourront jouer pleinement leur rôle économique. Pour paraphraser Jaurès, il est d’intérêt public que le salarié français ne soit plus seulement un serf dans l’entreprise.

    Cette financiarisation des entreprises devenues de véritables marchandises, objets de spéculation, conduit  à des risques sociaux et politiques majeurs. Les abus de droit, les erreurs de gestion, la criminalisation des rapports sociaux, les infractions au code du travail, mis en oeuvre impunément par des patrons voyous, sur ordre d’actionnaires financiers – considérés par la loi comme irresponsables – contribuent au discrédit de nos institutions publiques et au rejet de la politique par une partie de nos concitoyens.

    • La finance a un visage, l'Etat a un visage. C'est souvent le même.

    Dans votre discours du Bourget, vous avez déclaré : "La finance, mon adversaire, n'a pas de visage et elle ne se présente pas aux élections".
    Cependant, comme l’a démontré l’universitaire Geoffrey Geuens, il existe une proximité sociologique croissante entre le monde économique et le monde politique, fusionnés en une même oligarchie qui a réussi à imposer de faux antagonismes. La finance a un visage, l'Etat a un visage. C'est souvent le même.

    Le fond d’investissement « Qualium », filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, en est une parfaite illustration : il est loin d’être exemplaire en matière de respect de la représentation salariée dans les entreprises où il détient des participations, alors même que l’institution publique au service de l’intérêt général, contrôlée par le Parlement, vise à l’exemplarité !

    Ainsi, si nous saluons votre initiative de vouloir limiter la rémunération des dirigeants des entreprises publiques, nous considérons que vous devez donner un signe fort à l’opinion, en reconnaissant la responsabilité et la culpabilité de l’Etat en matière de discrimination syndicale quand celle-ci est reconnue par la justice, et en ne soutenant pas comme vos prédécesseurs les procédures abusives pilotées par ces fonds prédateurs détenus ou financés, directement ou indirectement, par des entreprises publiques ou des subsides de l’Etat.

    • Une justice pour les salariés

    Il nous apparaît également comme prioritaire de renforcer les moyens d’une justice pour les salariés qui se doit d’être rapide et efficace, complétée d’une inspection du travail efficiente sur l’ensemble des territoires, et réaliser un audit social et environnemental sur tous les fonds d’investissement qui minent notre économie.

    Le pendant de la financiarisation de l’économie est la judiciarisation des relations sociales, souhaitée et encouragée par le patronat et les actionnaires. Cette judiciarisation qui inquiète et qui divise des organisations syndicales au plus haut niveau, constitue un véritable piège tendu aux salariés. Si elle révèle certes un échec de la solidarité entre salariés, elle est exacerbée par les modes de gestion individualisés et les crises à répétition, dont la finance est responsable, en l’absence de contre-pouvoirs démocratiques et d’institutions réglementaires fortes.

    Et si des organisations syndicales avec la « méthode CLERC », réussissent à faire condamner des directions pour discrimination syndicale, nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation, étant donné le niveau des condamnations trop peu dissuasives tant sur le plan pénal que financier, et compte tenu des enjeux démocratiques et citoyens qui y sont associés.
    La judiciarisation ne peut être que temporaire sauf à souhaiter l’américanisation de notre justice et le renoncement à nos institutions républicaines héritées de la vie démocratique de notre pays.

    Monsieur le président de la République, il est donc urgent que la mission d’information sur les LBO, votée à l’unanimité par la commission des finances de l’assemblée nationale dès janvier 2007, démarre enfin et prenne la mesure de l’ampleur des dégâts causés par les fonds d’investissement à notre économie, nos emplois et nos finances publiques. Il serait même opportun que les députés nouvellement élus transforment cette mission en une véritable commission d’enquête, tant la question de la place et du rôle des fonds d’investissement dans notre économie est centrale.

    Ne laissez pas l’Association Française des Investisseurs en Capital, cette organisation professionnelle de fonds prédateurs de notre économie, continuer d’exercer son lobbying auprès de vous au détriment de notre pays, comme elle a commencé de le faire dans le cadre de la campagne électorale, et ne soyez pas dupe du changement opportun de son nom en « association française des investisseurs pour la croissance » !

    Le Collectif LBO se tient à votre disposition pour vous aider à concevoir des outils innovants de progrès favorisant la démocratie sociale dans les entreprises, permettant une redistribution plus équitable, favorisant l’investissement, et garantissant la pérennité des activités et des emplois lors des transmissions d’entreprises.

    Et surtout, Monsieur le président de la République, ne prenez pas le risque historique de laisser perdurer la criminalisation de l’activité syndicale dans notre pays !

    * LBO : de l’anglais « Leveraged Buy Out », opération financière de rachat d’entreprise à crédit


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